Après avoir rejeté le traité de Lisbonne en juin 2008, les Irlandais sont de nouveau invités à se prononcer sur le texte. Une victoire du "oui" permettrait l'entrée en vigueur des réformes institutionnelles des Vingt-Sept.
Trois millions d'électeurs irlandais étaient appelés à voter, vendredi, pour ou contre la ratification du traité de Lisbonne, un référendum crucial pour l’avenir du bloc communautaire qui a aussi un goût de déjà-vu. L’Irlande avait déjà rejeté le même texte en juin 2008 par plus de 53 % des voix.
Le vote a déjà commencé jeudi dans cinq îles irlandaises de l’Atlantique ainsi que dans huit autres îlots des comtés de Mayo et Galway (nord-ouest du pays), mais le dépouillement ne débutera pas avant samedi matin, avec les premières tendances attendues pour la mi-journée.
Le ''oui'' donné vainqueur… comme en 2008
Envoyée spéciale de FRANCE24 à Dulbin, Caroline de Camaret note que le ‘’oui’’ a le vent en poupe, comme en témoignent les nombreuses affiches ‘’Yes’’ déployées dans la rue. Mais beaucoup se basent sur les derniers sondages, qui donnent à penser que l’Irlande adoptera, cette fois-ci, la réforme de l'architecture institutionnelle européenne prévue par le traité de Lisbonne. Selon les enquêtes d’opinion, le ‘’oui’’ l’emporterait avec 48 % à 68 % des suffrages, contre 17 % à 33 % pour le ‘’non’’.
Largement commenté et interprété, le sondage publié dimanche par le ‘’Sunday Business Post’’ créditait le ‘’oui’’ de 55 % contre 27 % pour le ‘’non’’. Des estimations à considérer toutefois avec prudence. ‘’Ces résultats sont vieux d’une semaine, et au cours des dernières 48 heures le camp du ‘non’ a repris du poil de la bête’’, observe Hervé Amoric, correspondant de FRANCE24 à Dublin. Du côté des pro-Lisbonne, la consigne est donc d’éviter tout excès de confiance, d’autant qu’avant la tenue du précédent scrutin le ‘’oui’’ était donné gagnant.
La crise et la bouée
‘’Ce qui a changé [par rapport au référendum de 2008], c’est bien la crise économique’’, explique Caroline de Camaret. Alors qu’en juin 2008, les Irlandais étaient fiers de leur économie florissante’’. Le taux de chômage en Irlande, qui se targuait il y a encore peu d’avoir gagné le surnom de ‘’Tigre celtique’’, est passé de 5,8 % à plus de 15 % (estimation pour la fin 2009). Parallèlement, les banques se sont effondrées, les prix de l’immobilier également. Résultat : nombre d’Irlandais voient en l’Europe une bouée de sauvetage à laquelle le ‘’oui’’ au traité de Lisbonne permettrait de se raccrocher.
‘’Yes for jobs and investment’’ (Oui à l’emploi et aux investissements), peut-on ainsi lire sur les affiches électorales en Irlande, ou encore ‘’We’re better together’’ (Ensemble, nous sommes plus forts). Ainsi, la crise ‘’fait dire à un certain nombre de ‘nonistes’ de 2008 que l’Europe, c’est bon’’, résume Caroline de Camaret.
La crise s’est d’autant plus imposée comme la clé de voûte de ce vote que certaines questions relatives à la souveraineté irlandaise, qui avaient joué en faveur du ‘’non’’ en 2008, ont été aménagées. Le pays pourra ainsi conserver son système fiscal, l’interdiction de l’avortement, sa neutralité militaire, ainsi qu’un membre permanent à la Commission, autant de concessions faites par Bruxelles pour neutraliser les mécontents.
Une lettre de licenciement pour Brian Cowen ?
Mais le meilleur ennemi du ‘’oui’’ pourrait bien être… le propre gouvernement irlandais dirigé par Brian Cowen. Défenseur du traité de Lisbonne, le Premier ministre, particulièrement impopulaire, prend le risque de transformer le référendum en vote sanction. Pour faire face à la récession historique que connaît l'Irlande, le gouvernement a coupé dans les services et aides publiques (dont la prime de Noël aux chômeurs) tout en décrétant de nouveaux impôts. Un projet visant à taxer les allocations familiales est également à l'étude…
C’est donc sur ce point sensible que s’appuient notamment les ‘’nonistes’’, qui n’oublient pas pour autant de dénoncer les coupes budgétaires et les ‘’milliards distribués aux banquiers’’ lors de l’effondrement des institutions financières du pays.
Famille hétéroclite, le camp du ‘‘non’’ regroupe le petit parti Sinn Féin (nationaliste de gauche), ainsi que des groupuscules catholiques conservateurs ou d'extrême gauche, aux côtés du multimillionnaire Declan Ganley. Figure de proue du "non" l'an dernier, il a été, cette année, très affaibli par sa cuisante défaite aux élections européennes du printemps dernier. Alors que le ‘‘oui’’ est soutenu par la quasi-totalité des forces parlementaires (notamment le Fine Gael, premier parti d’opposition) ainsi que par le premier syndicat national (Siptu), le deuxième, Unite, a opté pour le ‘‘non’’.
Lors de la manifestation anti-traité organisée mercredi à Dulbin, on pouvait lire une pancarte annonçant au chef du gouvernement : "Votre lettre de licenciement est en route".