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Le Covid-19 fait des trous dans les “routes de la soie” chinoises

Sauver son économie mise à mal par le coronavirus ou rembourser la Chine ? Tel est le dilemme de plus en plus de pays, qui avaient rejoint les nouvelles “routes de la soie”, le vaste programme d’investissement chinois. C’est aussi une situation très inconfortable pour Pékin, priée par ces pays de faire preuve de patience pour les remboursements.

L’un des programmes phares du président chinois Xi Jinping est en train de se transformer en douloureuse épine dans le pied de Pékin, à la faveur de la pandémie de Covid-19. Les nouvelles “routes de la soie”, ce vaste plan d’investissements dans les infrastructures hors de Chine, met le pays dans une situation des plus inconfortables, alors qu’un nombre grandissant de pays font état de leurs difficultés à concilier plan de soutien à leur économie et remboursement des prêts accordés par les autorités chinoises.

Les nouvelles "routes de la soie", lancées en 2013 par Xi Jinping, ont déjà amené la Chine a investir plus de 450 milliards de dollars dans près de 140 pays, répartis aussi bien en Asie, en Europe, en Amérique du Sud ou encore en Afrique. La promesse est toujours la même : Pékin prête l'argent à ses partenaires pour la construction d'infrastructures vitales - chemin de fer, route, port, usines -, en échange de quoi les entreprises chinoises trouvent de nouveaux débouchés. Mais avec la pandémie, les nuages ont commencé à s'accumuler au-dessus de ce programme.

Le problème est apparu au grand jour lorsque le Pakistan a envoyé une lettre officielle à la Chine, mi-avril, pour réclamer une révision des conditions du remboursement de plus 100 millions de dollars, qui devait intervenir en mai. Pékin a assuré, le 17 mai, qu’il allait faire un effort “pour son ami” pakistanais, mais les autorités risquent de devoir multiplier ces gestes de bonne volonté.

Choix cornélien

“Nous avons conscience qu’un grand nombre de pays cherchent à renégocier les termes de ces prêts, c’est un processus qui va prendre du temps”, a reconnu au Financial Times un analyste de la Banque de développement chinoise, l’une des institutions qui supervisent la mise en place des “routes de la soie”. Une grande partie de ces demandes proviennent de pays africains qui sont au cœur du programme d’investissement chinois, mais sont aussi les nations qui ont les reins financiers les moins solides pour faire face à la crise actuelle, rappelle le New York Times dans un article publié lundi 18 mai.

Déjà accusé par une partie de la communauté internationale d’avoir manqué de transparence au début de la pandémie de Covid-19, mis sous pression par le président américain Donald Trump qui menace de relancer le conflit commercial, Xi Jinping se serait volontiers passé de ce nouveau front.

Car aucun des choix qui s’offrent au régime chinois ne semblent satisfaisant. D’un côté, il peut difficilement refuser d’accorder des facilités de paiement à ses partenaires, sauf à écorner encore un peu plus son image sur la scène internationale. De l’autre, commencer à concéder des rallongements de délais de paiement ou, même, des remises de dette peut s’avérer coûteux pour la Chine.

C’est “un exercice d’équilibriste financier délicat”, reconnaît Mary-Françoise Renard, directrice de l’Institut de recherche sur l’économie chinoise (Idrec), contactée par France 24. La Chine “avait déjà mis en place un grand nombre de mesures de soutien à son économie l’an dernier, et la pandémie l’a forcée à dépenser encore plus ce qui réduit ses marges de manœuvre budgétaires”, rappelle cette experte.

Difficultés politiques en perspective pour Xi Jinping ?

Pékin est ainsi pris en étau entre deux impératifs : soutenir son économie durement éprouvée par la crise sanitaire “ce qui reste sa priorité numéro 1”, d’après Mary-Françoise Renard, et venir en aide à ses “amis” des “routes de la soie”, à qui la superpuissance asiatique a promis monts et merveilles en échange de leur soutien à ce programme d’investissements massifs.

Heureusement, pour la spécialiste française de l’économie chinoise, la Chine dispose encore des moyens pour faire ce grand écart financier. Mais, en échange, Xi Jinping va devoir avaler deux couleuvres : des remboursements qui n’arriveront pas au moment où le pays en a le plus besoin, et des projets d’infrastructures qui vont prendre du retard à cause d’économies qui tournent au ralenti. “Le chemin de fer entre la Chine et la Malaisie et le projet de train à grand vitesse en Thaïlande, financés par Pékin, ont déjà dû être mis entre parenthèse”, souligne le département d’études de l’agence de notation Fitch dans une note consacrée à l’impact du coronavirus sur les routes de la soie, publiée début avril.

Des contretemps qui peuvent aussi avoir un impact politique pour Xi Jinping. Le leader chinois a fait des nouvelles “routes de la soie”, un programme initié en 2013, la signature de son règne en matière de politique économique. Elles ont déjà été critiquées ces dernières années pour le manque de transparence entourant les conditions des prêts octroyés et la réalité des bénéfices pour les pays qui y participent. A la suite de cette remise en cause, Xi Jinping a “relancé son programme sur des nouvelles bases en 2019, promettant notamment plus de transparence”, rappelle Felix Chang, spécialiste de la Chine pour le Foreign Policy Institute américain. Xi Jinping a besoin de résultats pour justifier l’argent investi et cette pandémie fait que tout prend plus de temps que prévu, note l’expert américain dans son analyse.

Des “routes de la soie” pour la santé ?

Surtout, ces difficultés, ajoutées à la campagne anti-chinoise menée par Washington, pourraient pousser certains pays à revenir sur leur participation aux “routes de la soie” ou en dissuader d’autres qui se posaient la question, suggère le New York Times. Ce serait particulièrement dommageable pour la Chine en Afrique, où Pékin livre une lutte sans merci aux États-Unis et à l’Europe pour en faire une zone d’influence économique.

Mais Mary-Françoise Renard juge un tel scénario improbable. Dans leur majorité, “les pays africains estiment qu’il y a plus à attendre de la Chine, qui les a davantage aidés jusqu’à présent à se développer, que des États-Unis ou l’Europe”, affirme-t-elle. Pour elle, ces pays claqueraient la porte des nouvelles “routes de la soie”, “seulement s’ils venaient à avoir des problèmes directement avec Pékin ou pensaient que les avantages, notamment en terme d’emplois, de ces projets d’infrastructures ne se matérialisent pas”. D’où l’importance pour Pékin de cajoler dans les sens du poil les pays de son réseau des “routes de la soie”.

Et, à ce titre, la pandémie actuelle pourrait même présenter des opportunités. Lundi, lors de la réunion des pays membres de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Xi Jinping a rappelé que son pays ne laisserait pas tomber ses “amis”. Une manière de souligner qu’appartenir à la “communauté” des “routes de la soie” garantit d’avoir le soutien de la nation qui a, actuellement, le portefeuille le mieux garni. 

En outre, cette crise pourrait aussi pousser la Chine à élargir son programme d’investissements au domaine de la santé, estime Fitch. Au lieu de ne construire que des aqueducs, des chemins de fer ou des ports, les routes de la soie pourraient servir “à améliorer les infrastructures sanitaires des pays qui en ont le plus besoin, ou encore à favoriser l’échange de connaissances médicales”, notent les analystes de l’agence de notation. Et de rappeler que Pékin avait déjà évoqué cette piste en 2017, lors d’un sommet de l’OMS.