Des études aux États-Unis et au Royaume-Uni, où la collecte des statistiques ethniques est autorisée, montrent que les minorités afro-américaines ou asiatiques ont jusqu’à quatre fois plus de risques de mourir du Covid-19 que la population blanche. Une inégalité ethnique encore mal comprise.
Le Covid-19 est-il raciste ? Les preuves statistiques démontrant que les minorités ethniques aux États-Unis et au Royaume-Uni paient un tribut beaucoup plus lourd au coronavirus que les autres commencent à s’accumuler. Ainsi, au Royaume-Uni, les patients d’origine africaine ou caribéenne admis à l’hôpital après avoir été contaminés par le virus ont quatre fois plus de risques de mourir de la maladie que les "Blancs", selon les données du National Health Service (NHS) – l’administration sanitaire britannique – publiées jeudi 7 mai. Le constat est le même, quoique de manière moins marquée, pour les individus d’origine asiatique.
Une autre étude, publiée par des chercheurs de l’université de Glasgow le 30 avril, révèle qu’au-delà de la mortalité, le risque d’être frappé par le virus est largement supérieur lorsqu’on appartient à une minorité ethnique. Idem aux États-Unis, où le taux de contamination est trois fois plus élevé dans les comtés dont une majorité de la population est d’origine afro-américaine, d’après un article paru mi-avril dans Jama, la revue de l’American Medical Association.
Les "indicateurs traditionnels sont insuffisants" pour comprendre
"J’ai été très surpris de constater à quel point ce virus semblait plus dangereux pour les minorités ethniques, ce qui se révèle être une facette de l’épidémie peu étudiée et très mal comprise", note Neeraj Bhala, praticien à l’hôpital Queen Elizabeth de Birmingham et coauteur d’un article à ce sujet dans la revue scientifique The Lancet, contacté par France 24.
La piste d’une prédisposition génétique propre à ces minorités – toujours scientifiquement et politiquement délicate à explorer – peut aisément être écartée. Après tout, le coronavirus ne semble pas se propager plus facilement et dangereusement sur le continent africain, note Neeraj Bhala.
Ce qui ramène aux suspects traditionnels de ce genre de disparités : les déterminants socio-économiques. Mais l’étude de l’université de Glasgow montre les limites du recours à ces facteurs pour expliquer les différences. Même en comparant des individus ayant un niveau d’éducation et des revenus similaires, les personnes issues de minorités ethniques restent plus à risque que la population blanche.
"Ce que cela montre surtout, c’est que ces indicateurs usuels sont insuffisants et qu’il faudrait avoir une vision plus précise de toutes les inégalités dont souffrent les minorités ethniques pour mieux cerner le phénomène", explique à France 24 Charles Agyemang, spécialiste des questions de santé et de migration au Centre médical universitaire d’Amsterdam, qui a collaboré à la publication dans The Lancet.
Surreprésentation dans les métiers à risque
Le NHS, lui-même, fournit une piste en rappelant qu’au Royaume-Uni, les minorités sont surreprésentées dans certains métiers mal payés mais jugés "essentiels" en cette période de crise, tels que les ambulanciers, les routiers qui transportent les marchandises, les infirmiers ou encore les employés publics affectés à l’entretien des rues. Impossible pour eux de faire du télétravail, ce qui les expose davantage au risque de contamination, notamment, dans les transports en commun.
Mais, de l’aveu du NHS, il faudrait creuser encore davantage pour réellement saisir l’ampleur du phénomène. Les conditions de vie et le logement pourraient constituer l’une des principales clés d’explication, selon les experts interrogés. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, "ces populations vivent plus souvent que les 'Blancs' dans des petits appartements loués au sein de quartiers densément peuplés, ce qui rend la mise en œuvre des règles de distanciation sociale plus difficile", souligne Charles Agyemang. Culturellement, il y a aussi une tradition pour certaines populations de mélanger sous un même toit plusieurs générations, ce qui peut multiplier les risques de contamination, ajoute Neeraj Bhala.
L’accès aux soins peut aussi constituer un obstacle pour les minorités ethniques, "surtout dans les pays, comme les États-Unis, où les mutuelles sont privées", note Charles Agyemang. Ces assurances se révèlent alors souvent onéreuses ou liées à des emplois dans des secteurs dans lesquels ces minorités ethniques sont sous-représentées. Sans couverture adéquate, ils tardent à consulter leur médecin ou à se rendre à l’hôpital.
Il ne faut pas non plus oublier la barrière de la langue, soutient le chercheur du centre universitaire d’Amsterdam. Pour une partie de ces populations qui parle peu ou mal la langue du pays d’accueil, "il peut s’avérer difficile d’avoir accès à une information fiable sur les mesures de précaution à prendre, ce qui peut les contraindre à se fier au ouï-dire et les exposent ainsi à la désinformation", déplore Charles Agyemang. Et en cette période de crise sanitaire, la désinformation peut littéralement être mortelle.
Un révélateur impitoyable de la persistance des inégalités
Autant d’hypothèses qui mériteraient d’être confrontées à des données plus détaillées. "Il faudrait, par exemple, savoir dans quelle mesure les pays autres que le Royaume-Uni et les États-Unis sont confrontés au même phénomène", estime Charles Agyemang. Une comparaison qui risque d’être difficile à faire puisque de nombreux États, comme la France ou l’Allemagne, interdisent la collecte de données ethniques.
Il n’empêche que les ravages disproportionnés causés par le virus dans les rangs des minorités ethniques rend "urgent de mener des études de grande ampleur pour étudier cette inégalité face à la maladie", estime Neeraj Bhala. Identifier les facteurs qui mettent ces populations le plus en danger permettrait d’élaborer des réponses sanitaires mieux adaptées. Une démarche qui serait, au final, bénéfique pour l’ensemble de la société puisqu’elle pourrait aboutir à empêcher la formation de ces fameux "cluster" – les zones de regroupement de cas – qui favorisent la propagation du virus.
En réalité, le Covid-19, loin d’être raciste, a servi de révélateur impitoyable de la manière dont nos sociétés traitent leurs minorités ethniques. "Il a mis en lumière la persistance des inégalités dont souffrent ces populations et montre que les moyens déployés pour traiter ces problèmes sont loin d’avoir été suffisants, ce qui se paie aujourd’hui au prix fort", note Charles Agyemang. Il y aurait pourtant des mesures simples qui, d’après lui, permettraient d’améliorer la situation sanitaire, comme s’assurer que les messages officiels atteignent bien ces populations.