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La "vie folle" des gangs du Salvador sur les écrans

"La Vida Loca", qui sort ce mercredi en France, est le dernier documentaire de Christian Poveda, assassiné au Salvador en septembre. Il dépeint le quotidien de la Mara 18, un gang de jeunes qui sème la violence dans les rues de San Salvador.

Enfants sauvages, condamnés et sans espoir. Ils sont les membres d’une armée invisible qui sèment la terreur dans les banlieues de San Salvador. Construits sur le modèle des gangs de Los Angeles, on les appelle les "maras" et leur violence ravage le Salvador.


Pendant 16 mois, le réalisateur franco-espagnol Christian Poveda s’est immergé dans le quotidien de la cinquantaine de jeunes de la Mara 18, en guerre permanente contre le gang adverse, la Mara Salvatrucha. Au-delà de cette violence, il s'est surtout intéressé aux causes de ce fléau social. On ne naît pas tueur, on le devient, avait-il coutume de rappeler. Poveda a choisi de regarder ces personnages comme des êtres humains. Il en a tiré un documentaire de 90 minutes, qui sort en salles en France ce mercredi.



La musique du rappeur colombien Sebastian Rocca accompagne cette plongée dans la "vie folle" de ces "mômes" - comme Poveda les appelaient - qui tuent et qui vivent. Le réalisateur saisit les quelques moments de légèreté, fêtes, naissances et histoires d’amour, irrémédiablement avortés par la prison ou la mort.


Tatoués de cercueils en hommage aux défunts, les "mareros" envisagent la mort par balle comme un destin. Christian Poveda, plongé dans cet univers depuis 1981 au Salvador, n’y a pas échappé. Agé de 54 ans, il a été assassiné le 2 septembre sur une route de San Salvador.


Un cinéma en prise direct avec son sujet


Christian Poveda propose une forme de documentaire qui privilégie le regard des acteurs à celui du réalisateur. Pas de commentaires, pas d’interviews, ce cinéma direct filme sans interagir dans le cours des événements.


Pour sa distributrice, Laurence Bierme, le genre est nouveau. "Le documentaire est une forme cinématographique où l’on est censé commencer par comprendre plutôt que de sentir. Mais Christian a réussi l’inverse."


Ni moraliste, ni complaisant, Poveda parvient à livrer à son spectateur des éléments bruts qui laissent le champ libre à la réflexion et au ressenti.


"De la même manière que Picasso nous faisait entrer dans le mouvement au début du cubisme, Christian nous fait oublier que c’est un documentaire mais il nous fait vivre quelque chose", continue Laurence Bierme.


Dénoncer une solitude humaine absolue


Si Poveda est resté spectacteur de son film, il ne s’est pas moins engagé pour tenter de contribuer à un dialogue de paix entre les gangs. Appelant à une trêve pour mettre en place un processus de négociations entre maras, il avait même rencontré le président du Salvador Mauricio Funes.


Philippe Trepiack, grand reporter pour le magazine "Elle", qui s’apprêtait à rejoindre Poveda au Salvador pour accompagner médiatiquement la sortie du film, ne peut s'empêcher de penser que cette implication lui a probablement coûté la vie.

"Il est très rare de filmer du côté des maras. On peut se livrer à ce genre de choses parce qu’on est étranger, parce qu’on n’appartient pas à la famille. Mais Poveda a perdu le sens des limites, analyse-t-il. De spectateur, il est devenu acteur du problème."


Une prise de position qui n’est pas sans risque dans l’un des pays les plus dangereux au monde. En 2007, selon l’Institut de médecine légale, il y a eu 3497 homicides au Salvador pour 5,8 millions d’habitants. De source policière, il y aurait environ 15 000 jeunes, entre 16 et 25 ans, enrôlés dans les maras.


Informer de "cette solitude humaine absolue", comme l’avait dit Poveda, et dénoncer la politique trop répressive des gouvernements successifs: tel est le message que propose ce film intense et pourvu d’une dimension pédagogique .


"Poveda a joué un rôle dans le combat pour la démocratie. Il y a un grand nombre de pays, comme le Salvador ou le Mexique, où les Etats sont dépassés par des cartels illégaux. Il voulait éviter que cette violence ne se répande dans le monde", explique Trepiack.


Laurence Bierme confirme : "Christian était affolé par la violence allant crescendo, même en France. Le passage à l’acte se banalise. Il tenait à faire comprendre aux jeunes que ce n’est pas le bon choix." La sortie du film s’accompagne d’une tournée de conférences et de projections dans les écoles.