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Coronavirus : plongée dans un service de réanimation "monté en 72 heures"

La clinique de l'Estrée, à Stains, en banlieue parisienne, a monté en urgence un service de réanimation pour prendre en charge les malades les plus gravement touchés par le Covid-19. Reportage exclusif aux côtés des soignants, qui forment la dernière ligne de défense face au coronavirus.

Un bip strident retentit, tandis qu'une lumière rouge clignote sur le moniteur du respirateur artificiel. Le patient, allongé sur un lit de réanimation, ne bouge pas. Plongé dans un coma artificiel, ses paupières sont maintenues fermées par de petites bandes adhésives — pour éviter que ses yeux se dessèchent — tandis qu'un tube relié au respirateur pompe de l'oxygène dans ses poumons.

Plusieurs soignants du service réanimation de la clinique de l'Estrée à Stains, en Seine-Saint-Denis, s'activent aussitôt autour de ce patient grièvement atteint de Covid-19. Ils inspectent les tubes et les branchements, repérant rapidement une petite fuite d'air sur le dispositif de ventilation. Le problème est réglé et la courbe bleue, qui indique l'oxygénation du sang, reprend ses ondulations sur le moniteur. Premier coup de chaud en cette après-midi du 9 avril 2020.

"Cela montre à quel point ces patients sont dépendants de la machine pour respirer. Sans l'oxygène envoyé par ce respirateur, cette personne mourrait aussitôt. [...] Cette façon de décompenser en quelques instants est l'une des spécificités du Covid-19", explique Aline Lheureux, cadre du service réanimation.

Décompenser, décompensation: ces mots lourds de menace reviennent régulièrement dans la bouche des soignants. Ils signifient que les poumons cessent de fonctionner et que le patient ne peut plus respirer par lui-même. Le cœur, qui n'est plus alimenté en oxygène, finit par lâcher. C'est comme ça que sont morts la plupart des 12 000 victimes de Covid-19 recensées officiellement en France au 9 avril 2020.

Un service de réanimation monté en 72 heures

Avec le nouveau coronavirus, ces décompensations peuvent être particulièrement brutales. Un patient peut aller bien pendant quelques jours,  puis perdre soudainement sa capacité à respirer.  C'est pour gérer un afflux de ces cas graves que l'Autorité régionale de Santé (ARS) a demandé aux structures qui le pouvaient de monter leur service de réanimation.

"Ici on a pris la décision le mercredi et le service était opérationnel le dimanche. On a pu monter notre service de réanimation en 72 heures car on fait partie d'un grand groupe, et que des cliniques situées dans des zones moins touchées ont pu nous envoyer le matériel nécessaire", explique Gorka Noir, le directeur de la clinique de l'Estrée.

La logistique d'un service de réanimation requiert en effet des équipements lourds, comme les fameux respirateurs, ainsi que du matériel plus léger mais néanmoins indispensable, comme les porte-seringues qui régulent les drogues, lissant le sommeil des patients en coma artificiel. Gorka Noir mentionne une situation "tendue" sur les stocks de masques FFP2, plus protecteurs que les masques chirurgicaux, mais c'est surtout la question des drogues utilisées spécifiquement en réanimation qui l'inquiète.

"Aujourd'hui, on ne peut pas être serein car on a une visibilité à seulement quatre ou cinq jours sur des médicaments essentiels pour la réanimation, comme le curare ou le propofol", explique le directeur de la clinique.

Le curare détend le corps du patient, permettant par exemple qu'il ne lutte pas contre l'intubation ; le propofol est ce qui les fait dormir.

"Comme un soldat qui va à la guerre"

Au-delà du matériel, un service de réanimation requiert également des compétences humaines très spécifiques. La clinique de l'Estrée a pu s'appuyer sur ses soignants qui avaient travaillé en réanimation dans leurs parcours professionnels, ainsi que sur la solidarité d'autres médecins et employés du groupe.

"Je travaille habituellement à la clinique Conti, à l'Isle-Adam au nord de Paris. On a rapidement entendu parler de l'afflux de patients Covid-19 à l'Estrée, on voyait nos collègues désemparés. Je me suis portée volontaire et j'ai été soulagée de pouvoir venir sur le front", confie Aline Lheureux, cadre du service réanimation.

L'équipe comprend également un infirmier guéri du Covid-19, Olivier Lanza, qui vient de reprendre le travail, après trois semaines de convalescence, pour prendre sa part à la lutte contre l'épidémie.

"Je vois ça comme un devoir de citoyenneté médicale", explique le docteur Widad Abdi, médecin détachée au service réanimation de la clinique de l'Estrée depuis le 31 mars. Le docteur Abdi s'était déjà portée volontaire pour travailler pendant deux semaines au service de réanimation de Saint-Quentin, dans le nord de la France.

"C'est vrai qu'il y a un risque mais c'est comme un soldat qui fait son devoir et va à la guerre. On ne va pas envoyer des civils au front", ajoute-t-elle, tout en s'escrimant avec un échocardiographe.

Malgré toutes les bonnes volontés, un service de réanimation monté dans l'urgence n'a pas la fluidité d'un service établi de longue date. Le matériel n'est pas forcément celui auquel on est habitué, une partie du personnel vient parfois de plusieurs centaines de kilomètres et tourne régulièrement, l'organisation continue à s'affiner.

"On se serrera la main quand tout ça sera fini"

Des questions qui sont passées au second plan devant l'impératif de sauver des vies humaines. C'est justement ce qu'essaie de faire le docteur Widad Abdi en multipliant les examens de son patient. L'homme d'une soixantaine d'années a été amené en réanimation la veille à la suite d'une aggravation de son cas. Visiblement essoufflé, il porte un masque par lequel on lui procure de l'oxygène. Ses poumons sont dans un si mauvais état que le simple fait de respirer est épuisant.

"Intuber ces malades peut être un facteur aggravant pour leur état général car ça entraîne des lésions pulmonaires. Autant que possible, il est préférable de maintenir une ventilation non invasive", explique le docteur Abdi.

Direction la salle du scanner pour un examen poussé des poumons du patient. Deux infirmiers dirigent son lit médicalisé vers un ascenseur dédié aux patients Covid-19. À ses pieds, un moniteur affiche ses constantes vitales, dont le taux d'oxygénation du sang, ainsi qu'un kit d'intubation d'urgence. Toujours cette crainte d'une décompensation brutale.

Le diagnostic est clair : l'état des poumons du patient s'est aggravé. Mais pas au point d'éteindre tout espoir d'une guérison sans intubation.

Le patient est remis sur son lit médicalisé. Dans l'ascenseur qui le ramène au service réanimation, il a les larmes qui lui montent aux yeux et remercie chaleureusement les soignants autour de lui : "Merci, merci pour tout ce que vous faites, vous êtes top".

Un infirmier lui enjoint de ne pas s'essouffler en s'efforçant de le rassurer : "Vous verrez, on se serrera la main quand tout ça sera fini".