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Des centres de consultations dédiés aux patients présentant les symptômes du Covid-19 ont été mis en place en région parisienne. Cela permet aux médecins de ville de suivre leurs patients, tout en désengorgeant les urgences. Reportage.

On entend ses violentes quintes de toux avant de la voir. Nancy Bamba, une femme de 28 ans, se présente mardi 7 avril à l'accueil du centre de consultations Covid-19, installé dans l'espace Simone Veil de Nogent-sur-Marne, à l'est de Paris.

"Mon médecin traitant m'a envoyée ici car ça fait dix jours que j'ai des symptômes inquiétants. Je tousse et j'ai des courbatures terribles. Dans le passé, j'avais attrapé le paludisme en Côte d'Ivoire... Mais la fatigue que je ressens aujourd'hui est bien pire, c'est comme si on m'avait enlevé toute mon énergie. Hier j'avais 39.4 °C de fièvre", détaille la jeune femme visiblement affaiblie, entre deux quintes de toux. "Comme en plus j'ai un problème de rein, j'ai vraiment peur".

Après avoir reçu un masque chirurgical et s'être nettoyée les mains avec du gel hydroalcoolique, Nancy Bamba s'installe dans une grande salle d'attente quasiment vide de plus de 100 mètres carrés, avec des chaises éloignées d'environ deux mètres les unes des autres. De grands miroirs installés sur tout un pan du mur rappellent que ce lieu hébergeait avant la crise de nombreux cours de danse.

Plus de 400 personnes présentant des symptômes inquiétants ont été reçus ici depuis l'ouverture du centre Covid-19 fin mars, après avoir été envoyées par leur médecin traitant ou le Samu. Un policier municipal à l'extérieur du bâtiment vérifie que seules personnes ayant un rendez-vous pénètrent dans le centre Covid-19.

Après une courte attente, Nancy Bamba pénètre dans une salle plus petite où l'attendent une médecin et deux infirmières. Ces dernières s'activent aussitôt autour de la jeune femme pour prendre en quelques minutes sa température, sa tension, et son taux de saturation d'oxygène dans le sang. Cette dernière donnée est cruciale dans la lutte contre le Covid-19 car elle peut signaler un risque respiratoire, y compris chez des patients qui ne ressentent pas de gêne dans les poumons.

La médecin commence par une série de questions sur les symptômes et d'éventuelles pathologies préexistantes, avant d'utiliser son stéthoscope pour écouter la respiration du patient. Une consultation somme toute banale, si l'on fait abstraction du fait que les soignants portent tous un kit complet de protection - masque, gants, lunettes, charlotte, surblouse et surchaussures. Tous les instruments et la table d'examen sont méticuleusement désinfectés entre deux consultations.

La téléconsultation en renfort

Des précautions également valables dans la pièce d'à côté, qui est dédiée aux téléconsultations. Les frères Pascal et Benoît Bonnet, médecins de ville à Nogent-sur-Marne, sont seuls devant un écran, en communication avec une patiente dont l'image apparait dans une petite fenêtre.

À distance, la patiente est soumise au test de la respiration, qui consiste à voir jusqu'à combien on peut compter sans respirer.

"Cette patiente a pu compter jusqu'à 15, ce qui est mieux que la dernière fois, où elle était à 11. Une personne qui n'est pas capable de compter jusqu'à 5 - 6 en retenant son souffle, ça serait plus inquiétant", explique le docteur Benoît Bonnet.

Peu de médecins sont favorables par principe à la téléconsultation, mais le contexte d'urgence, l'impossibilité de certains patients de se déplacer, et surtout le fait d'utiliser cet outil pour suivre leurs patients est venu à bout des réticences.

"Ce sont des moyens qu'on a expérimentés de manière empirique et c'est assez fiable. Il faut aller vite et être efficace pour décharger le Samu et les urgences", explique le docteur Benoît Bonnet.

Un centre pour "éviter une crise dans la crise"

Le décompte macabre quotidien des victimes du coronavirus - plus de 10 000 morts en France au 7 avril - et le travail intensif des services de réanimation occupent le devant de la scène. Les chiffres officiels font état à cette date de près de 80 000 personnes testées positives au Covid-19.

Mais la réalité de l'épidémie est qu'un nombre bien plus important de personnes ont les symptômes de cette maladie. Dans le climat anxiogène actuel, beaucoup ont peur d'aller consulter leur médecin ou d'appeler le Samu, de crainte de n'être "pas assez malade" pour mobiliser des services d'urgence en pleine surchauffe. Pire encore, des personnes âgées préfèrent ne pas appeler malgré des symptômes inquiétants car elles sont convaincues - à tort selon les médecins - qu'il n'y a pas de parcours thérapeutique pour elles.

C'est pour faire face à cette situation de crise que des médecins locaux, organisés à travers la Communauté professionnelle territoriale de Santé, ont lancé le projet d'un centre de consultation ambulatoire Covid-19. Le maire de Nogent-sur-Marne, Jacques J.P. Martin, a aussitôt répondu à leur appel en mettant à leur disposition l'espace Simone Veil, un vaste local flambant neuf, disposant d'une rampe pour fauteuils roulants, qui abrite en temps normal la Maison des associations.

Plusieurs dizaines d'initiatives similaires, soutenues par les collectivités locales et l'Agence régionale de la Santé, ont vu le jour en région parisienne. Le mot d'ordre est le même partout : mobilisation, solidarité, et faire sa part dans la lutte contre l'épidémie.

"Le but est de désengorger les urgences liées à cette épidémie en faisant dans notre centre de consultations le tri entre les patients qui ont besoin d'une prise en charge à l'hôpital et ceux qui ont des symptômes plus faibles. Séparer ces deux flux est essentiel dans la crise actuelle, il faut absolument éviter de se retrouver dans une situation comme en Italie, où tous les patients affluaient aux urgences", explique le docteur Frédéric Thibault, coordinateur du projet du centre Covid-19 de Nogent-sur-Marne.

Avec une exigence absolue : la sécurité des soignants et des patients. Ce qui n'était pas gagné d'avance dans la situation de pénurie actuelle.

"Quand on a l'habitude de faire de la chirurgie avec des robots qui coûtent une fortune, on n'imagine pas devoir un jour batailler pour du gel hydroalcoolique !", s'exclame le docteur Thibault, en pointant du doigt un "cubi" de 20 litres de gel artisanal fourni par une pharmacienne locale.

"Le fait de partir de rien, de devoir résoudre des problèmes très rapidement, ça me donne aujourd'hui l'impression d'être en mission", ajoute le médecin, qui a travaillé par le passé sur des projets humanitaires en Afghanistan, au Bangladesh, ou encore à la frontière syro-jordanienne.

La solidarité locale et le système D ont effectivement joué à fond. Les surblouses de protection, charlottes et surchaussures ont ainsi été fournies par des cantines scolaires de Nogent-sur-Marne. Les visières anti-projection ont été envoyées par Shields, un réseau de bénévoles équipés d'imprimantes 3D. Les lourdes tables d'examen ont été prêtées par un collègue kiné.

Quant aux masques, le centre a initialement reçu de l'ARS 200 masques FFP2 pour les soignants - de quoi tenir cinq jours - et 4 000 masques chirurgicaux. Comme partout, la chasse aux masques FFP2 bat son plein et chacun s'active pour récupérer des dons auprès de ses réseaux personnels. Entreprises, particuliers en relation d'affaire avec la Chine, veuves de médecin qui retrouvent les kits délivrés en prévision du H1N1 en 2009... Tous les plans sont bons à prendre.

"Heureusement que j'avais gardé le matériel que j'utilisais quand j'étais urgentiste", explique le docteur Anne-Marie Bénéteau-Bechara, l'une des initiatrices du centre, dont le cabinet est installé à Nogent-sur-Marne. "J'ai pu amener mon appareil ECG, qui sert à surveiller l'activité électrique du cœur, le saturomètre pour vérifier le taux d'oxygène dans le sang, et des brassards de plusieurs tailles pour prendre la tension", ajoute la médecin.

La frustration de ne pas avoir de remède

À la débrouille des uns et des autres s'ajoute une organisation stricte. Les vacations des soignants sont limitées à trois heures pour s'assurer que leur concentration est toujours maximale, les patients sont toujours peu nombreux dans la grande salle d'attente, et leur parcours dans les locaux est fléché de telle sorte qu'ils ne se croisent pas dans les couloirs.

C'est justement à la porte de sortie de la salle de consultation qu'on retrouve Nancy Bamba. La médecin lui a dit que son examen ne montrait pas d'infection pulmonaire et la jeune femme est renvoyée chez elle avec une prescription de paracétamol.

"On m'a dit que j'avais effectivement les symptômes du Covid-19 et on m'a proposé une téléconsultation dans trois jours pour réévaluer ma situation. Je prenais déjà du Doliprane et on ne m'a pas proposé de test de dépistage ni d'autres solutions", affirme la patiente, un peu dépitée.

Les médecins du centre Covid-19 sont régulièrement confrontés à cette demande de tests, mais ils ne peuvent les réaliser que dans des cas très particuliers : pour les personnels soignants, les femmes enceintes et les personnes présentant des difficultés respiratoires ou certaines maladies chroniques.

Ces règles strictes, qui s'appliquent dans toute la France, sont renforcées par la méfiance des médecins du centre à l'égard du test nasopharyngé, par prélèvement dans le nez. Selon eux, ce test donne une forte proportion de faux négatifs. Un résultat qui peut avoir des conséquences dramatiques : un patient se croyant non-malade du Covid-19 risque de baisser la garde alors qu'il est en réalité contagieux.

"On explique aux patients qu'il n'existe pas de traitement efficace contre le nouveau coronavirus à longueur de journée, c'est très frustrant pour nous", explique ainsi la docteur Pascaline Mourey, médecin généraliste à Bry-sur-Marne, après une consultation au centre Covid-19. "Quand un patient va moins bien, on s'efforce de déterminer à quel moment l'envoyer à l'hôpital, en sachant qu'il ne faut pas le faire trop tôt en cette période de crise sanitaire"

Sur une cinquantaine de patients pris en consultation chaque jour, environ cinq ou six personnes sont transférées du centre Covid-19 vers l'hôpital. Un travail de tri qui permet de donner une bouffée d'oxygène au Samu et aux urgences en cette période de surchauffe.