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En Afrique, le coronavirus pourrait amplifier l'épidémie de rougeole

Les campagnes de vaccination contre la rougeole en Afrique sont menacées par le confinement lié au Covid-19. Le risque de voir des résurgences de cette épidémie en pleine pandémie de coronavirus inquiète les ONG, notamment en République démocratique du Congo et au Burkina Faso.

Alors que l'Afrique tente tant bien que mal de se protéger du Covid-19, une autre maladie est redoutée par les ONG présentes sur le terrain. “Il est primordial de protéger les enfants contre la rougeole, sinon nous aurons une épidémie au sein même de la pandémie de Covid-19, ce qui sera extrêmement dur à gérer”, alerte le Dr Sal Ha Issoufou, chef de mission pour Médecins sans frontières (MSF) en République démocratique Congo (RDC), joint à Kinshasa.

Une inquiétude partagée par l’Alliance du vaccin (Gavi), un partenariat public-privé rassemblant notamment l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Banque Mondiale et des représentants de l'industrie pharmaceutique. Pour le groupement, une épidémie de rougeole aggraverait davantage encore la situation fragile des systèmes de santé, déjà ébranlés par la pandémie de Covid-19.

Un confinement risqué

En RDC, la rougeole a tué deux fois et demi plus de personnes que le virus Ebola pendant l'épidémie de cette fièvre hémorragique, rappelle l'Alliance du vaccin. En limitant les vaccinations de routine, les mesures de confinement dues au Covid-19 pourraient provoquer d'autres épidémies mortelles, comme la rougeole, prévient le groupement, dont la mission est de négocier avec les géants pharmaceutiques des prix très bas, compatibles avec les moyens des pays pauvres.  

Sur le terrain, plusieurs acteurs de la santé contactés par France 24 en RDC, en Afrique centrale et Afrique de l’Ouest estiment que la pandémie de Covid-19 aura un impact à terme sur la lutte contre la rougeole, qui affecte plus particulièrement les enfants.

Pour le moment, les activités de MSF, présent dans dix provinces de la RDC, se poursuivent, rapporte le Dr Sal Ha Issoufou. L’ONG travaille dans des zones encore relativement épargnées par le Covid-19, dont la plupart des cas recensés se concentrent à Kinshasa, et au Nord-Kivu. 

Un risque de pénurie de seringues en RDC

En RDC l’épidémie de rougeole, réapparue en juillet 2018, n’est toujours pas maîtrisée. Le virus a infecté plus de 335 000 enfants et provoqué la mort de 6 300 d'entre eux, rien qu’en 2019, d’après l’OMS. Aussi le combats des ONG présentes sur le terrain pour vacciner les populations à risque continue pour l'instant. “Les campagnes de vaccination déjà planifiées auront lieu, mais on ne pourra pas aller au-delà. Si l’épidémie de rougeole s'étend à une nouvelle zone, il va être vraiment difficile de s’investir”, déplore le Dr Issoufou.

La faute d’abord à un manque de personnel. “Aujourd’hui il n’y a pas de vol pour rejoindre Kinshasa, or habituellement nos équipes se relaient”, explique le chef de mission. L’autre préoccupation majeure est le risque de pénurie de matériel médical, principalement les seringues. “Pour le moment, on ne manque pas encore de matériel consommable, mais si l’épidémie venait à s’étendre, ce serait problématique”. 

Par chance, un nouvel entrepôt de stockage de vaccins a été inauguré à l’automne à Kinkole, dans la banlieue de Kinshasa. “Il peut couvrir les besoins actuels pour plus de six mois”, précise, Elizabeth Mukamba, directrice du programme élargi de vaccination, interrogée par France 24. 

Campagne de vaccination adaptée au Burkina Faso 

Au Burkina Faso, MSF a dû adapter sa campagne de vaccination contre la rougeole sur plus de 100 000 enfants, à cause du durcissement du confinement. 

Après l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes entrée en vigueur le 14 mars, l'ONG a été contrainte, en concertation avec les autorités, de se rendre directement au domicile des habitants de Dédougou et Boromo pour vacciner leurs enfants. Depuis la mise en place de l’état d’alerte sanitaire le 26 mars, Dédougou et Boromo ont été mises en quarantaine et les autorités a accordé une dérogation à MSF pour poursuivre sa campagne de vaccination.

Pour l’ONG Alima, qui apporte une aide médicale dans douze pays d'Afrique de l’Ouest et d'Afrique centrale, dont le Burkina Faso, la fermeture des frontières sur le continent pose des problèmes de personnel : “90 % de nos ressources viennent d’Afrique et il nous est difficile actuellement de faire passer du personnel du Sénégal au Burkina”, explique ainsi à France 24 le Dr Moumouni Kinda, son directeur des opérations. L’ONG, ainsi que d’autres acteurs du secteur médical, en appellent à la mise en place d’un corridor humanitaire, afin que les personnels et les équipements puissent être acheminés vers les États qui en ont besoin.

Protéger les soignants, en nombre insuffisant 

Dans les stratégies des soignants, les deux maladies ne sont pas mises en concurrence, les combats contre le Covid-19 et la rougeole restent intimement liés. “Il est indispensable de prendre des mesures vigoureuses contre le Covid-19. Il faut être certain que les centres de santé puissent continuer à rester ouverts, car nos ressources humaines ne sont pas suffisantes en Afrique”, s’inquiète le Dr Moumouni Kinda. Alima, qui n’a pas de campagne de vaccination en cours contre la rougeole, a donc réorienté une partie de ses ressources pour prévenir les contagions au coronavirus. Mais si les humanitaires venaient à être contaminés, ils ne pourraient plus continuer à soigner les autres maladies.

Pour autant, insiste le Dr Moumouni Kinda, il ne faut pas perdre de vue l’impact que le coronavirus aura sur l’épidémie de rougeole. “Nous devons dès à présent prévoir et organiser les vaccinations de rattrapage pour les familles qui ne peuvent pas se déplacer et relancer des campagnes de vaccination de masse contre la rougeole après la pandémie. Mais il ne faut surtout pas attendre que de nouveaux foyers épidémiques de rougeole se déclarent."

En Europe, les pédiatres appellent à vacciner les enfants

D’après l'Alliance du vaccin, l’Europe n’est pas épargnée non plus par le risque de résurgence de la rougeole après la pandémie de coronavirus. Le virus voyage facilement. Pour preuve, 47 pays européens sur 53 ont déjà enregistré une épidémie de faible ampleur ces dernières années. Si la couverture vaccinale venait à diminuer, ces épidémies pourraient devenir "massives", a averti Seth Berkley, le directeur exécutif du groupement.

En Europe, avec le confinement, de nombreux parents reportent la vaccination de routine de leurs enfants. Dans un communiqué publié le 25 mars, les syndicats de pédiatres de France s’en sont inquiétés. Ils ont rappelé que les consultations de vaccination font partie des soins "urgents" autorisés.

Tout en demandant de la vigilance, l'Alliance du vaccin reconnaît que les mesures de distanciation physique mises en place pour stopper le nouveau coronavirus pourraient également empêcher la propagation massive d'autres maladies infectieuses.