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Coronavirus : les Iraniens face au deuil et à l'autoconfinement

Avec un bilan officiel de 3 294 morts au 3 avril, l'Iran est l'un des pays les plus touchés par le coronavirus. Pourtant, le confinement n'a toujours pas été instauré par les autorités. Autoconfinés, marqués par les deuils ou travaillant d'arrache-pied pour produire du gel hydroalcoolique, des Iraniens livrent à France 24 leur quotidien en temps de Covid-19.

En Iran, les quinze jours de congés du Nouvel An, qui touchent à leur fin samedi 4 avril, font émerger les craintes d’un retour en masse des 3 millions d’Iraniens ayant profité de ces vacances pour voyager dans le pays, malgré les avertissements des autorités sur les risques de propagation du Covid-19.

Sans être officiellement confinés, les habitants sont appelés depuis plusieurs semaines à rester chez eux "autant que possible". Après avoir tout fait pour éviter d'imposer des mesures de confinement ou de quarantaine, le gouvernement a fini par interdire tout déplacement entre les villes à partir du 27 mars seulement, soit une semaine après les départs en vacances du Nouvel an iranien. Mais les déplacements au sein de chaque région sont en revanche autorisés.

Le pays est l’un des plus touchés par la pandémie, avec un bilan officiel de 3 294 morts, 53 183 cas confirmés par les autorités, dont 4 035 dans un état critique, à la date du 3 avril. Des chiffres remis en question par la population dans un climat de défiance envers les autorités iraniennes.

Les écoles et les universités iraniennes, elles, sont fermées depuis la fin du mois de février. Le Parlement a été suspendu, puis les prières collectives du vendredi ont été annulées et quatre importants sites de pèlerinage religieux chiite ont fermé, notamment à Qom. C’est dans cette ville, centre du chiisme en Iran, que les premiers cas de contamination au Covid-19 avaient été recensé le 19 février. Mais Qom n’a jamais été mis en quarantaine.

Face au bilan croissant des victimes du coronavirus, nombre d’Iraniens ne comprennent pas les réactions tardives des autorités du pays. France 24 a recueilli leurs témoignages.

Mahsa*, 40 ans, salariée dans une agence de voyage à Téhéran

"Cela fait un mois que je ne suis pas sortie de l’appartement. Pas même pour marcher dans la rue. Ma fille a fait un dessin hier, elle a représenté toute la famille, réunie, pour célébrer l’anniversaire de mon père qui a lieu en juin. Les enfants sont magiques. Moi, je ne tiens plus sans anxiolytiques. Mon père est dans le coma, sous respirateur depuis 3 semaines. Il a 70 ans. Après une semaine d’hospitalisation, ils l’ont renvoyé à la maison, on a cru qu’il était guéri, mais ils l’avaient confondu avec un homonyme. Je ne sais pas quoi faire d’autre que de prier. Alors on prie en famille. Le pire, c’est la solitude. Le savoir seul, lui, à l’hôpital, et savoir ma mère seule avec ses doutes. Ma grand-mère est décédée la semaine dernière. Elle avait 93 ans, elle a été emportée par la vieillesse. Nous n’avons pas pu l’enterrer. Nous devons faire le deuil chacun chez soi.

Notre agence de voyage a fermé. De toute façon, il n’y avait plus de vols et tous les voyages de groupe ont été annulés. Mon patron me paie jusqu’à la fin du mois, mais après il ne pourra plus. Certains collègues ont commencé les démarches pour demander une aide au chômage. On y a droit pendant trois mois, il faut que je le fasse pour moi aussi. Mon mari est ingénieur, il est en télétravail, parce que 50 personnes ont été infectées dans son entreprise. Il nous assurera un salaire pour le foyer.

Je ne peux pas m’empêcher de penser que de mauvaises décisions ont été prises. Très longtemps nous avons maintenu les vols avec la Chine et notre aéroport de Téhéran est devenu un "hub" pour les passagers qui voulaient quitter ce pays. Et si l’État nous avait confinés plus sérieusement, on n’en serait pas arrivés là. Tous les jours on apprend la mort d’un proche. J’ai perdu un collègue de mon âge. Il a succombé en trois jours. Dans ma famille éloignée, trois frères âgés sont morts, tous les trois ensemble.

Nous nous sommes mis nous-même en quarantaine très stricte : je ne sors pas, mon mari va faire des courses une fois pas semaine et nous désinfectons tous les paquets. Il a trouvé assez facilement du gel hydroalcoolique et des masques, mais leur prix a doublé.

La seule chose qui me réjouit, c’est la solidarité. Un collègue a lancé une cagnotte pour aider des personnes qui ne pouvaient plus payer leur loyer. Très souvent ce sont des femmes et des hommes de ménage payés à la journée, par exemple. Il a récolté pas mal d’argent, d’autres amis l’ont aidé et ils ont pu éviter des situations catastrophiques pour plusieurs familles avec enfants."

Golnar*, 36 ans, employée dans une banque à Téhéran

"Je m’apprête à prendre l’avion pour Téhéran dans quelques heures. Je mettrai un masque et des gants. Je suis à Shiraz chez mes parents [à 1 000 km au sud de Téhéran, NDLR]. Je sais qu’il ne faut pas se déplacer de ville en ville mais je n’ai pas le choix. Mon chef ne veut pas qu’on fasse de télétravail, il n’est pas très coopératif, je lui en veux. Et en même temps on n’a pas reçu de consignes claires. Ce qui me rassure, c’est que le bazar et les centres commerciaux ont fermé. Mais j’ignore s’ils vont rouvrir avec la fin des vacances. Avec mes parents ici, à Shiraz, on a essayé de se confiner. On est quand même aller rendre visite à ma sœur deux fois en prenant des précautions.

Pour le moment tout le monde va bien, mais c’est éprouvant. Toutes les catastrophes se sont enchaînées cette année avec les menaces des États-Unis, le crash de l’avion ukrainien, et maintenant le coronavirus... Chaque fois c’est comme si on baissait la tête pour éviter un missile et un autre malheur nous tombe dessus avant même qu’on ait eu le temps de s’en remettre."

Reza*, 67 ans, patron d’une société d’importation de matériels de chirurgie et de laboratoire

"J’ai travaillé nuit et jour pendant deux semaines pour produire du gel hydroalcoolique dans l’arrière-boutique. Ma femme me suppliait d’arrêter parce que j’ai été opéré du cœur il y a deux ans. Mais très franchement, je n’avais pas le choix. J’ai mis ma santé de côté. C’est mon devoir.

Nous avons vécu deux semaines de sévère pénurie en produits désinfectants. Nos clients, mon entourage, nous étions tous très angoissés. Mais nous avons dépassé ce stade grâce à nos productions internes depuis le 20 mars environ. L’État nous a demandé, à nous importateurs et fabricants de produits médicaux, de faire tourner les usines à fonds. Nous avons adapté nos chaînes de montage qui produisaient des produits d’entretien pour les hôpitaux, et nous avons relevé le défi. Des usines à l’arrêt ont aussi été relancées ailleurs dans le pays.

Cela fait deux mois que je ne reçois plus aucun matériel médical en provenance de Chine, où se trouvent nombre de nos fournisseurs. Pas de gants, ni de masques non plus. Nous avons deux grandes usines qui en produisent en Iran, à hauteur de 5 millions par jour. Malheureusement ça n’est pas assez. Des commandes ont été passées en Chine, je ne sais pas si elles ont été honorées. En attendant, des couturiers ont eux aussi été appelés en renfort pour fabriquer des masques. Des collègues produisent aussi des blouses en grande quantité pour le personnel soignant.

J’ai passé mon temps au téléphone la semaine dernière pour essayer d’importer des tests PCR de dépistage du coronavirus. Il n’y en n’a plus aucun à vendre au Moyen-Orient. Dubaï, Koweït, Turquie… J’ai tout essayé. L’État a demandé aux laboratoires privés d’en mettre à disposition, la plupart ont accepté. Ce qui me rassure, c’est que nous n’avons pas encore rencontré de problème avec les respirateurs. Ces dernières années, l’Iran a multiplié la construction d’hôpitaux en province avec des unités de soins intensifs, dotées de respirateurs pour les malades.

Au vu des sanctions internationales imposées à notre pays, je m’attendais à pire. La réponse de l’industrie médicale à la crise que nous traversons, je la trouve correcte. Mais la gestion du confinement est mauvaise. Nous avons perdu un mois et demi. Je ne comprends pas pourquoi nos dirigeants n’entendent pas les appels au secours de nos médecins. Qom, puis le Gilan [deuxième foyers épidémique en Iran en début de crise, NDLR] auraient dû être mis en quarantaine immédiatement à la mi-février. Le nombre de décès dus au Covid-19 est sans doute sous-estimé, comme ailleurs dans le monde. La situation évolue vite.

Je retourne travailler demain après quelques jours de congés pour le Nouvel An iranien, cela fera office de test".

Mitra*, 41 ans, fondatrice d'une start-up de livraison de repas à domicile à Téhéran

"J'ai décidé d'imposer le télétravail à mes employés dès le début du mois de mars. Les programmateurs, les chargés de communication... Tous travaillent de chez eux et les cuisinières également. Seuls les livreurs sortent pour acheminer les repas, mais nous leur demandons de ne pas entrer chez les clients. De toute façon, notre activité a chuté de 80 %. La plupart des gens préfèrent ne pas consommer d'aliments cuisinés en dehors de chez eux pour réduire les risques d'infection. Heureusement, aucun de mes salariés n'est malade pour le moment.

L'État accorde des prêts à taux préférentiel aux start-up en difficulté à cause du Covid-19. J'ai fait le calcul et emprunter reviendrait à m'endetter. C'est l'avenir de mon entreprise qui est menacé."

* Les prénoms ont été modifiés.