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La présidence "impériale" de Donald Trump peut-elle fragiliser les institutions américaines ?

Si le procès en destitution contre le président américain a pris fin avec l’acquittement par le Sénat de Donald Trump, les retombées de cette procédure risquent de se faire ressentir sur l’équilibre des pouvoirs.

Donald Trump s’en sort bien, les institutions américaines peut-être un peu moins. L’acquittement du président prononcé par le Sénat américain, mercredi 5 janvier, marque la fin d’une procédure de destitution de cinq mois qui risque de laisser des traces sur l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis.

“L’impact sur les pouvoirs présidentiels pourraient être profond”, avertit le site politique américain The Hill, tandis que le Financial Times britannique estime que l’acquittement risque “de repousser les limites” de ce qu’un chef de l’exécutif américain peut faire impunément.

“Présidence impériale”

C’est aussi ce que les démocrates n’ont eu de cesse de répéter depuis le début de la procédure. “Si ces actes ne méritent pas un ‘impeachment’, rien ne peut valoir au président d’être destitué”, a affirmé Adam Schiff, le démocrate qui a mené la charge contre Donald Trump à la Chambre des représentants. Au Sénat, de nombreux démocrates ont averti leurs collègues républicains : cette décision revenait à donner un blanc-seing à Donald Trump pour recommencer à utiliser sa fonction afin de solliciter de l’aide auprès de puissances étrangères dans sa campagne pour sa réélection.

Mais les républicains ont fait la sourde oreille. Ils ont bloqué l’audition de nouveaux témoins durant le procès en destitution au Sénat, convaincus, pour les plus farouches partisans du président, que son comportement n’avait rien de répréhensible. Les républicains plus modérés ont, quant à eux, préféré s’en laver les mains et laisser le peuple juger des actions de Donald Trump à la prochaine présidentielle de novembre 2020.

Le comportement de la majorité républicaine revient à “avoir ouvert en grand la porte à une ‘présidence impériale’”, assure Josef Braml, spécialiste de la politique américaine au Conseil allemand des relations internationales (DGAP) et auteur du blog “Les experts des États-Unis”, contacté par France 24. Ce n’est pas tant l’acquittement qui inquiète ce politologue que la manière dont la procédure a été menée au Sénat pour arriver au plus vite au verdict. Ce procès exprès revient pour le Congrès à “renoncer à sa fonction constitutionnelle de contrôle et de surveillance de l’exécutif, ce qui remet en cause l’équilibre des pouvoirs”, détaille-t-il.

Les privilèges du prince

En clair, jusqu’à l’élection de novembre, Donald Trump “peut faire ce qu’il veut sans entrave”, reconnaît Robert Singh, spécialiste des institutions politiques américaines à l’université Birkbeck de Londres, contacté par France 24. Mais ce n’est pas seulement la perspective d’un Trump tout-puissant qui inquiète ces experts. Pour Josef Braml, cet acquittement a valeur de “précédent qui n’augure rien de bon pour le système politique américain”.

En effet, “dans l’histoire politique américaine, tous les présidents ont capitalisé sur l’élargissement des pouvoirs de l’exécutif obtenu par leur prédécesseur. Même Barack Obama, qui avait pourtant beaucoup critiqué la pratique du pouvoir de George W. Bush, n’est pas revenu sur les prérogatives octroyées par le Patriot Act [de 2001, NDLR]”, rappelle Robert Singh.

Pour lui, le verdict d’acquittement est surtout important pour l’avenir en ce qu’il valide la conception que Donald Trump se fait des pouvoirs présidentiels. “Le recours de plus en plus fréquent au privilège de l’exécutif [la règle selon laquelle un président ou un membre de l’administration n’ont pas à communiquer certaines informations à la population ou aux élus, NDLR] risque de faire école, et rendre la collaboration entre l’exécutif et le Congrès à sens unique”, estime Robert Singh. “Si un président peut agir ainsi sans conséquence dans ces circonstances exceptionnelles d'hypervigilance parlementaire, je ne vois pas pourquoi il ne le ferait pas en temps normal”, résume le politologue britannique.

Des rapports de plus en plus conflictuels

Les conséquences peuvent être importantes si, en vertu de cette “jurisprudence Trump”, des futurs présidents en conflit avec le Congrès décident de priver les élus des documents nécessaires  - accès à certaines données, à des ministres - pour faire leur travail législatif normal.

Le risque d’une telle dérive est renforcé par “l’hyperpolarisation de la vie politique américaine”, craint Robert Singh. En raison du fossé de plus en plus grand qui se creuse entre les deux camps sur des questions comme le port d’arme, la politique migratoire ou encore la fiscalité, les tensions entre le président et l’opposition sont amenées à se multiplier. Et un “président démocrate ne se gênera probablement pas pour retourner contre les républicains les tactiques utilisées par Donald Trump, d’autant plus que le verdict d’acquittement les a validées”, note le politologue de l’université londonienne.

L’hyperpolarisation de la vie politique joue aussi en défaveur du Congrès à un autre niveau. “Il est beaucoup plus difficile pour les députés d’obtenir une majorité des deux tiers, qui est souvent nécessaire pour faire barrage au président lorsque chacun campe aussi fermement sur ses positions”, note Robert Singh. Comme quoi, faire dérailler tout le système politique américain est peut-être aussi simple qu’un coup de fil... à un dirigeant ukrainien.