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Un chef traditionnel milite pour la culture d'une plante miracle

envoyé spécial au Burkina Faso – À la fois chef traditionnel, cultivateur, commerçant et politicien, le Larlé Naaba Tigré, fonction équivalente au rang de ministre dans l'ex-royaume Mossi, mène une croisade pour une plante qui pourrait révolutionner l'agriculture sahélienne.

A Ouagadougou, le palais du Larlé Naaba se dresse dans l'obscurité. La bâtisse massive, entourée de hauts murs, reste ouverte tard dans la soirée : ce notable du quartier de Larlin, qui porte son nom, enchaîne les rendez-vous.

Avec fierté, l'homme fait visiter les lieux, qui reflètent autant de facettes de son personnage. Chef africain avant tout, il désigne en passant un petit musée dédié aux rites anciens. Avec les gestes lents de celui qui se veut au-dessus de la mêlée, il déplace sa haute silhouette drapée d'un vêtement traditionnel de coton bleu marine dans une cour où somnole un cheval, symbole des guerriers Mossi. Là, il se fait agriculteur pour décrire les plantes à l'étude dans sa pépinière.

Dans un vaste hall d'exposition, son discours tourne à la démonstration commerciale lorsqu'il vante les bienfaits des produits tirés de ses fermes. Quelques hommes qui semblent travailler pour lui approuvent en hochant la tête.

"C'est le plus politique de tous ! "

Invité à s'asseoir dans son bureau climatisé, le visiteur découvre là tous les attributs de l'homme d'affaires international. Trois téléphones portables, des billets d'avion, des enveloppes à l'en-tête de grandes banques - le Larlé Naaba se plaint du poids des emprunts - voisinent avec des cartons de matériel informatique récent.

Sur les murs, c'est l'homme politique qui s'affiche : une horloge à l'effigie du président Blaise Compaoré y dispute l'espace à des photos prises à l'Assemblée nationale. A la simple évocation du Larlé Naaba, Emmanuel, instituteur à Ouagadougou, s'exclame : "C'est le plus politique de tous ! "


Larlé Naaba vantant ses produits. (photo : Thomas Hubert / FRANCE 24)

Victor Tiendrebeogo hérite de la fonction de Larlé Naaba, équivalente au rang de ministre dans l'ancien royaume Mossi, en 1990. Il y adjoint alors son nom de guerre, "Tigré", et laisse derrière lui son nom civil et un début de carrière dans la banque. Sur les 500 hectares d'exploitations agricoles dont il devient le maître, il lance des cultures expérimentales.

Depuis quelques années, il se concentre sur le jatropha curcas, une plante qu'il décrit comme "une manne pour l'Afrique".

Le jatropha, "une manne pour l'Afrique"

Cet arbuste s'accommode de l'aridité sahélienne sans nécessiter d'irrigation, d'engrais ni de traitement contre les parasites. Il produit rapidement des noix dont l'huile sert de biocarburant et les déchets d'engrais. Le jatropha fixe les sols menacés d'érosion et sert de barrière contre les animaux. Ses feuilles auraient des propriétés médicinales.

Pour le Larlé Naaba, "sans le jatropha, notre agriculture n'ira nulle part ". Les scientifiques internationaux confirment les propriétés de l'arbuste, mais s'interrogent encore sur son intérêt économique.  "Beaucoup de chiffres irréalistes et trop optimistes sont publiés sur Internet pour rendre le jatropha présentable dans un business plan", prévient le consultant spécialisé allemand Reinhard Henning.

Qu'importe, le Larlé Naaba veut avancer tout de suite. Il explique que son objectif est avant tout d'alimenter localement "les tracteurs, les moulins à grain, les groupes électrogènes". A coup de tournées dans les campagnes et de visites VIP sur ses terres, largement couvertes par les médias nationaux, il affirme avoir convaincu suffisamment d'agriculteurs burkinabés pour installer le jatropha sur 60 000 hectares, en partageant l'espace avec les cultures vivrières.

Des dons pas étrangers à l'élection du Larlé Naaba comme député

L'entreprise n'est pas seulement philanthropique. Les produits issus de ces activités sont vendus dans la boutique du Larlé Naaba à Ouagadougou. Il évoque avec gourmandise ses visites incognito chez les commerçants pour les sonder sur l'attitude des consommateurs face aux produits dérivés du jatropha.

Pour extraire l'huile du jatropha, le Larlé Naaba fait appel à Deutsche Biodiesel, une entreprise allemande qui soutient par ailleurs les projets de développement de l'association Belwet, dont il est le président.

"Ses soutiens auprès de l’ambassade des Etats-Unis, d’Allemagne ou des Pays-Bas permettent aussi d’accélérer la mise en œuvre de ses projets de culture maraîchère ou de forages de puits", souligne dans un article l'historien français Benoît Beucher, spécialiste des chefferies traditionnelles au Burkina Faso. "Comme à Bantogdo (au nord de Ouagadougou, ndlr) où l’ambassadeur hollandais Hans-Maurits Schaapveld est intronisé 'Managre Naaba' - traduit par 'Ministre du développement'- en juillet 2006."

Les mauvaises langues estiment que les dons de matériel ou de semences de l'association Belwet aux villages de sa circonscription, souvent co-financés par des bailleurs de fonds étrangers, ne sont pas étrangers à l'élection du Larlé Naaba comme député du Congrès pour la démocratie et le progrès, le parti présidentiel.

Mais l'intéressé balaye les critiques en les mettant sur le compte "des envies et des complexes" de ses détracteurs. "Ici, si vous voulez vous en sortir, les autres vous tirent par les pieds. C'est le nivellement par le bas", lance-t-il.