À Malte, l'avocat d'affaires Robert Abela doit prendre la succession au poste de Premier ministre de Joseph Muscat, dont plusieurs proches ont été éclaboussés par l’enquête sur l’assassinat de la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia. Une affaire passée sous silence pendant la campagne par le futur chef de gouvernement.
Il est surnommé "l’homme de la continuité". Le député Robert Abela va devenir le nouveau Premier ministre de Malte, à la faveur d’un vote au sein du Parti travailliste dans la nuit de samedi 11 à dimanche 12 janvier. Il fallait trouver un successeur à Joseph Muscat, qui avait dû se résoudre à annoncer son départ le 1er décembre alors que l'enquête sur l'assassinat de la journaliste Daphne Caruana Galizia touchait ses plus proches collaborateurs, dont son chef de cabinet et ami, Keith Schembri. Selon une source du Labour interrogée par l'AFP, Joseph Muscat devrait présenter sa démission au président lundi et son successeur prendre ses fonctions dans la foulée.
Le choix de Robert Abela est à la fois une surprise et une évidence. Une surprise parce que les membres du gouvernement avaient largement soutenu l’un des leurs, Chris Fearne, un chirurgien de 56 ans, vice-Premier ministre sortant. Les électeurs travaillistes ont préféré la jeunesse de Robert Abela, âgé de 42 ans, qui a fait campagne à la fois sur sa capacité à se faire l’écho des préoccupations quotidiennes de la population et sa promesse de maintenir "les recettes gagnantes" de la politique économique de Joseph Muscat, crédité du boom économique maltais (+6,6 % de croissance en 2018) porté par les sociétés de jeux de hasard et l’économie offshore. Robert Abela n’a jamais occupé de fonction ministérielle, toutefois il connaît bien les arcanes du palais de Castille pour avoir participé aux conseils des ministres en tant que consultant légal du gouvernement sortant.
L'ombre de Daphne Caruana Galizia sur la campagne
"Abela a donné l’image d’une personne à l’écoute, pleine d’empathie, qui entend à la fois les difficultés de la jeunesse à accéder à la propriété immobilière, et les nécessités des plus âgés, qui doivent choisir entre se soigner et se nourrir", écrit le site maltais The Shift, qui prône le journalisme d’investigation et la défense des droits humains. "La victoire de Robert Abela raconte, à sa façon, le besoin de comprendre le fossé entre les mesures économiques libérales et les conséquences en terme de vécu humain."
Au cours de la campagne électorale, les raisons de la démission de Joseph Muscat n’ont jamais été soulevées. Aucun des prétendants au poste de Premier ministre n'a évoqué l'affaire "Daphne" ni critiqué le chef de gouvernement sortant, accusé par la famille de la journaliste et les mouvements civiques d'avoir interféré dans l'enquête pour protéger ses proches. En poste depuis 2013, Joseph Muscat a fait des adieux émus vendredi, estimant "avoir payé le prix fort", avec son départ anticipé, pour la mort de la journaliste, et assurant avoir tout fait pour élucider le meurtre.
Pressions internationales
La difficulté des journalistes à exercer leur métier, et particulièrement à mener des enquêtes dans les hautes sphères du pouvoir, sur les responsabilités dans le meurtre de leur consœur en 2017 a encore été signalée, samedi, auprès de la délégation européenne pour les libertés civiles qui s'était rendue à Malte début décembre.
Dans ses tentatives pour faire pression sur le gouvernement maltais, la société civile compte l’Union européenne parmi ses alliés. Le 18 décembre dernier, un rapport du Parlement de Strasbourg mettait en exergue les obstacles rencontrés à ce que toute la lumière soit faite sur l’assassinat de la journaliste maltaise, et estimait que l’enquête ne pourrait aboutir tant que Joseph Muscat resterait Premier ministre.
Les pressions internationales interviennent aussi par voie judiciaire. Un nouveau volet de l’affaire Daphne Caruana Galizia s’est ouvert à Paris, début décembre. La famille de la journaliste maltaise assassinée, soutenue par Reporter sans frontières (RSF), a déposé une plainte contre X pour corruption et complicité d’assassinat visant notamment Jorge Fenech, puissant homme d’affaires maltais, qui est formellement inculpé par la justice de son pays. Jorge Fenech détient des actifs en France – deux sociétés hôtelières ayant pour maison mère Tumas Group, dont l’une est propriétaire de l’hôtel Hilton d’Évian-les-Bains (Haute-Savoie) –, ainsi que des chevaux de course, rappelle Le Monde.
À Malte, le mouvement appelé Repubblika compte poursuivre la lutte contre la corruption dans le pays, en assumant son surnom de "pirates" : "Nous avons la réputation d'être des pirates car un groupe de criminels a pris le pouvoir", explique à l'AFP Manuel Delia, un responsable de Repubblika. Le mouvement entend remettre au nouveau Premier ministre un manifeste réclamant l'assainissement de la vie politique et d'une économie "dopée aux stéroïdes" (casinos, passeports "dorés", etc.), et une vraie séparation des pouvoirs, en particulier entre la justice et le gouvernement. Sur son compte Twitter, dimanche, le mouvement Repubblika a publié la photographie d’un graffiti apposé sur un mur, qui dit : "Robert Abela est un ralentisseur sur la route, une bouse de chien sur le chemin, notre lutte se poursuit."
Our sentiments entirely.
We approve this message, @robertabela_mt.
Cc. @JosephMuscat_JM @PL_Malta pic.twitter.com/RK19W6qAY7