Les incendies meurtriers qui dévastent l'Australie sont d'une violence inédite et résultent, selon différents scientifiques, d'un "cocktail explosif" combinant le réchauffement climatique à des années de sécheresse. Pour ces experts du climat, le phénomène était prévisible depuis plus de dix ans.
Au moins 25 morts, une superficie presque équivalente à l'Irlande partie en fumée, plusieurs milliers de maisons réduites en cendres, des dizaines de milliers d'habitants évacués, des millions d'animaux tués... Le dramatique bilan des incendies en Australie, qui font rage depuis septembre, pourrait encore s'alourdir puisque les autorités ont averti que la catastrophe devrait encore durer des semaines ou des mois. L'été sur l'île-continent s'achève fin février.
L'Australie est connue pour être le pays le plus touché au monde par les feux de forêt. La chaleur, la sécheresse et les incendies sont des phénomènes récurrents durant l'été austral. Mais comment expliquer leur précocité et leur intensité cette année ? Si le Premier ministre australien Scott Morrison, ardent défenseur de l'industrie du charbon, a mis plusieurs semaines avant de reconnaître que ces incendies hors normes pourraient être liés au réchauffement climatique, les scientifiques parlent, eux, d'un "lien incontestable".
Pour expliquer ces feux exceptionnels, Nerilie Abram, professeure à l'Australian National University à Canberra, et auteure en charge de la coordination d'un rapport spécial du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) décrit sur le site de The American Scientist un "cocktail explosif", combinant le réchauffement climatique à des années de sécheresse ainsi qu'à d'autres facteurs climatiques tels que la vitesse du vent ou encore l'humidité. En clair : le réchauffement climatique ne cause pas à lui seul ces incendies particulièrement violents, mais peut rendre les conditions météorologiques plus propices.
"Les incendies s'établissent dans des endroits qui ne brûleraient pas normalement"
Selon le centre de recherche sur les feux de forêt et les dangers naturels (Bushfire and Natural Hazards CRC), les températures moyennes dans le pays ont en effet augmenté de plus de 1 °C depuis le début de l'ère industrielle. "L'est de l'Australie est en sécheresse depuis 2017, rappelle la chercheuse australienne. La gravité de la sécheresse actuelle a causé la mort de vastes étendues de végétation. Il a même asséché les forêts tropicales humides, permettant à des incendies violents de s'établir dans des endroits qui ne brûleraient pas normalement." Lundi 6 janvier, le mercure a encore dépassé les 40 °C sur tout le territoire, avec un record à 47 °C dans l'État d'Australie-Occidentale.
Southeast Australia has warmed around 1.5C since the late 1800s. Climate models do a good job of reproducing this historical trend, and project an additional 1.5C (+/- 1C) of warming by 2100 under a medium-high emissions scenario (RCP6.0): pic.twitter.com/0J7sksunpo
— Zeke Hausfather (@hausfath) January 5, 2020Le dipôle de l'océan Indien a freiné les pluies
À cela vient se mêler le dipôle de l'océan Indien, plus connu sous le nom d'El Niño indien, et qui correspond à la variation des températures de la surface de l'océan Indien entre sa partie orientale et occidentale : "Le principal coupable de nos conditions actuelles […] est l'un des événements dipôles de l'océan Indien (DOI) les plus positifs jamais enregistrés", a commenté le Dr Watkins, directeur des prévisions à long terme du Bureau de météorologie australien qui ajoute : "Un DOI positif signifie que nous voyons moins de systèmes météorologiques porteurs de pluie et des températures plus chaudes que la moyenne dans de grandes parties du pays".
Un autre élément a également été déterminant : un réchauffement stratosphérique soudain et rare au-dessus de l'Antarctique à la fin de l'hiver, augmentant le risque d'incendies de forêt dans l'est de l'Australie. "En effet, un déplacement vers le nord dans les vents d'ouest de l'hémisphère Sud à cette période de l'année provoque des vents d'ouest très chauds et secs à travers le continent", précise la professeure Nerilie Abram.
"L'été de la colère était prévisible"
"Le pays brûle", résume ainsi Nerilie Abram, mais "l'été de la colère" était, selon elle et de nombreux climatologues australiens, "prévisible". D'une part parce que le réchauffement climatique augmente le risque d'incendies : "De nombreuses études scientifiques ont révélé des liens clairs entre les années les plus chaudes et les plus sèches et les zones brûlées plus importantes, notamment en Californie et en Australie", assure auprès de France 24 Zeke Hausfather, directeur du climat et de l'énergie à l'institut de recherches Breakthrough, spécialisé dans les solutions technologiques pour les problèmes environnementaux.
Scientists have given clear warnings to policy makers for decades on the increased fire risk that climate change would bring.
Thread by @KetanJ0 shows some of this. No excuses, our governments knew but didn’t act. Even worse, they spread misinformation instead. https://t.co/hbeexeh2ep
D'autre part, parce que les scientifiques avaient prédit depuis des décennies la hausse du nombre des incendies de forêt en Australie. Zeke Hausfather cite notamment le quatrième rapport d'évaluation du Giec daté de 2007, qui prévoyait déjà que "les vagues de chaleur et les incendies augmenteront pratiquement en intensité et en fréquence" dans le pays au cours du XXIe siècle.
Au-delà de la partie climatique difficilement maîtrisable, les scientifiques assurent que le contrôle des brousses permettrait de réduire la fréquence des incendies. "Une gestion forestière et un débroussaillage efficaces peuvent atténuer l'intensité des flammes", estime Zeke Hausfather. Ce dernier déplore "l'accumulation de sous-bois" ces dix dernières années devenus particulièrement inflammables. "Pour faire face aux incendies de forêt que nous avons aujourd'hui, nous avons besoin d'inciter les gens à vivre dans des régions moins sujettes aux incendies", conclut-il.