Comment Carlos Ghosn, l’un des hommes les plus connus au Japon, a-t-il pu fuir en direction du Liban sans être intercepté ? Le mystère reste entier autour des circonstances du départ de l’ancien magnat de l’industrie automobile, poursuivi par la justice nipponne.
Au surlendemain de son arrivée rocambolesque au Liban, les conditions de la fuite de Carlos Ghosn, qui fait l'objet de quatre inculpations au Japon, restent aussi floues que mystérieuses. Comment l'ancien PDG de Renault a-t-il pu échapper aux autorités japonaises sans être repéré ni laisser de trace ?
Pour l’instant, rien ne filtre au niveau officiel sur la façon dont il a quitté le Japon où il était sous contrôle judiciaire depuis sa sortie de prison, en avril dernier. Peut-être en saura-t-on plus de la voix du principal intéressé : Carlos Ghosn prévoit en effet de tenir une conférence de presse le 8 janvier, a annoncé, mercredi 1er janvier, l'un de ses avocats.
Plusieurs sources citées par les médias libanais affirment qu’il aurait quitté le territoire japonais par avion privé, fait escale en Turquie, avant d’atteindre sa destination finale au Liban.
Des passeports toujours aux mains de sa défense
Or, selon la télévision publique japonaise NHK, les services d'immigration nippons n'auraient trouvé aucune trace informatique ou vidéo d'une sortie de territoire de Carlos Ghosn. De leur côté, les autorités libanaises ont annoncé qu'il avait pénétré légalement sur le territoire lundi.
Selon une source à la présidence libanaise citée par l’AFP, le patron déchu de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi est entré dans le pays de ses ancêtres avec un passeport français et sa carte d'identité libanaise. Le ministère des Affaires étrangères libanais a souligné toutefois ne rien savoir des circonstances de son départ du Japon.
Son avocat japonais, Junichiro Hironaka, a pourtant affirmé que l'équipe est toujours en possession de ses trois passeports, français, libanais et brésilien, conformément aux conditions de sa liberté sous caution imposées par le parquet.
"Chaque journaliste présent à Tokyo est en train de chercher à répondre à toutes ces questions", indique Michael Penn, correspondant de France 24 au Japon.
La fuite de Carlos Ghosn planifiée depuis plusieurs semaines ?
Selon le Wall Street Journal (WSJ), qui s’appuie sur des sources anonymes, la fuite de Carlos Ghosn est intervenue après des semaines de planification par ses proches. Le week-end dernier, poursuit le quotidien américain, une équipe réunie pour procéder à son exfiltration a mis son plan à exécution avec l’aide de complices au Japon.
D’après le WSJ, les données de suivi des vols montrent que, dimanche, vers 23 h 10, un avion d’affaires Bombardier a quitté l’aéroport international du Kansai, près d’Osaka – à environ six heures de route à l’ouest de Tokyo –, pour se poser le lendemain matin à l’aéroport Ataturk d’Istanbul.
"Un jet plus petit, opéré par la même compagnie MNG Jet Havacılık, dont le siège est en Turquie, a ensuite quitté cet aéroport pour le Liban un peu plus d’une demi-heure plus tard", explique le quotidien. Jusqu’ici, aucun responsable officiel turc n’a commenté cette affaire.
D'après le site suédois Flightradar24, spécialisé dans le suivi des vols internationaux, un jet privé a atterri à l'aéroport international de Beyrouth le 30 décembre, peu après 04 h 16 (heure locale).
Caché dans une boîte pour instrument de musique ?
Par ailleurs, une théorie digne d’un film hollywoodien a été avancée par la chaîne de télévision privée libanaise MTV, qui a expliqué que Carlos Ghosn avait été exfiltré clandestinement de sa résidence de Tokyo en étant caché dans une boîte pour instrument de musique.
Selon la MTV, l’évasion aurait commencé lorsqu’un "groupe de paramilitaires" se faisant passer pour une troupe de musiciens est arrivé dans le logement de Carlos Ghosn afin d’y animer une soirée d’anniversaire. Ce n’est que quelques heures plus tard, à la fin de leur performance, qu’ils auraient évacué l’ancien magnat de l’industrie automobile, caché dans une boîte pour instrument de musique, d’une résidence placée sous surveillance policière et filmée 24 heures sur 24 vers un aéroport secondaire.
Ces informations, difficiles à vérifier pour le moment et qui ont été reprises par certains médias internationaux comme le Guardian, ont été démenties par la famille de Carlos Ghosn.
Des sources de l'industrie aéronautique citées par la chaîne d’information japonaise NHK ont précisé que les passagers de jets privés ne sont pas exemptés des contrôles d'immigration et des douanes au départ, mais les contrôles aux rayons X des bagages ne sont effectués qu’au cas par cas.
Dans la presse française, Le Parisien explique que Carlos Ghosn "a forcément bénéficié de complicités" pour fuir le Japon, même si "les conditions de son évasion ne sont pas encore connues". Selon The Guardian, l’homme d’affaires a été aidé dans sa fuite par des "officiels libanais", qui auraient reçu l’ordre de responsables politiques de "faciliter" son retour à Beyrouth.
Pas de jugement par contumace au Japon
Toujours est-il que Carlos Ghosn a confirmé, mardi dans un communiqué, qu'il se trouvait au Liban, tout en se félicitant de ne plus être "l'otage d'un système judiciaire japonais partial, où prévaut la présomption de culpabilité". Depuis son arrestation en novembre 2018, ses avocats et sa famille ont vivement dénoncé ses conditions de détention et la façon dont la justice japonaise mène la procédure.
"Bien sûr que c’est inexcusable, puisque c’est une violation des conditions de sa libération sous caution, c’est illégal au regard de la loi japonaise, mais pour autant, de là à dire que je ne comprends pas son ressenti, c’est une autre histoire”, a confié aux médias japonais son propre avocat, Junichiro Hironaka, après la fuite de son client.
"Il a brûlé tous les ponts menant au Japon", a commenté l'avocat d'affaires américain basé à Tokyo, Stephen Givens, cité par l’agence AP. "Cela va se terminer dans une impasse, et il devra passer le reste de sa vie au Liban".
À l’abri au Liban, Carlos Ghosn sait que le droit local ne permet pas aux autorités de livrer un ressortissant à un pays étranger. La Sûreté générale a d’ailleurs indiqué que rien n'imposait "l'adoption de procédures à son encontre" ni ne "l'exposait à des poursuites judiciaires".
"Après vérification auprès de sources locales, en droit japonais il n’est pas possible de juger quelqu’un par contumace", précise également Constantin Simon, correspondant de France 24 à Tokyo. "Comme il n’y a pas de convention d’extradition entre le Japon et le Liban, cela veut dire qu'il n’y aura pas de procès contre Carlos Ghosn ici".