
Malgré une intense carrière internationale, l'ex-magnat de l'automobile Carlos Ghosn a toujours gardé des liens profonds avec le Liban, pays de ses ancêtres, où il a trouvé refuge dans la nuit de dimanche à lundi, alors qu’il était en attente de son procès au Japon.
Incarnation de la réussite, icône de la diaspora libanaise, souvent cité comme présidentiable… Au Liban, Carlos Ghosn, descendant d’une famille d’immigrés libanais au Brésil, jouit d’une image d’un capitaine d'industrie à succès.
Malgré son riche parcours professionnel qui l'aura vu occuper plusieurs postes en France, aux États-Unis et au Japon, Carlos Ghosn a toujours gardé des liens profonds avec le pays de ses ancêtres, dont le droit libanais ne permet pas aux autorités de livrer un ressortissant à un pays étranger.
"Un contact étroit avec le Liban"
L’histoire de la famille de l'ex-patron polyglotte de l'alliance Renault-Nissan, sous le coup de quatre inculpations pour malversations financières au Japon, où il était en liberté conditionnelle, est liée à celle de la diaspora libanaise. Et précisément celle du Brésil qui compte le plus grands nombre de descendants d’émigrés libanais au monde. C’est le grand-père libanais de Carlos Ghosn, Béchara Ghosn, qui, fuyant la pauvreté qui sévissait au pays du Cèdre au début du siècle, traverse la Méditerranée, puis l’océan Atlantique pour s’installer à Rio de Janeiro.
Né en 1954 dans l’État du Rondônia en Amazonie, Carlos Ghosn découvrira le Liban à l’âge de six ans, suite à des problèmes de santé qui ont poussé ses parents, Jorge et Rose, une Libanaise originaire du Nigeria, à rentrer au bercail ancestral. L’ex-capitaine d’industrie y vivra jusqu’à ses 17 ans, et sera scolarisé chez les jésuites du collège Notre-Dame de Jamhour, fréquenté par l’élite du pays, avant de s’envoler pour la France où il poursuivra ses études supérieures.
"Ce sont des années importantes, pendant lesquelles on se construit. Elles font donc aujourd’hui partie de moi et je garde un contact étroit avec le Liban", avait-il confié en 2005 au magazine spécialisé "Le Commerce du Levant".
Mais les ponts ne seront jamais coupés avec le Liban, où un timbre à son effigie avait été imprimé en 2017, et où le nom Carlos Ghosn a souvent été cité parmi les présidentiables dans un pays où la magistrature suprême est réservée à la communauté chrétienne maronite – dont il est issu.
Des investissements dans les secteurs bancaire et immobilier
Si son intense activité le tenait éloigné des rives libanaises, où il n’effectuait que d’éphémères visites, il aura investi tout au long de sa carrière dans ce pays. Parmi ses placements, recensés par les médias locaux, figurent notamment des investissements dans les secteurs immobilier (dont un projet de résidences dans la région des Cèdres, au Liban-nord) et bancaire, précisément au sein du capital de la banque Saradar.
Selon le quotidien japonais Asahi Shimbun, le parquet de Tokyo considère le Liban comme "un bastion du détournement présumé par Ghosn des fonds de Nissan pour son usage personnel". Le média affirme qu’une quarantaine de sociétés-écrans enregistrées à Beyrouth sont liées à l'ancien PDG de Renault.
Carlos Ghosn, qui finance des bourses scolaires et universitaires pour des élèves de Notre-Dame de Jamhour, et qui siège au conseil de la prestigieuse université Saint-Joseph, est également propriétaire d’une luxueuse résidence à Beyrouth, dans le quartier d’Achrafieh. Une villa rose aux volets bleu pâle qui serait au cœur des soupçons de malversations de la justice nipponne.
Au Liban, Carlos Ghosn est également actionnaire d’Ixsir, un domaine vinicole fondé en 2008. Avec une production d’un peu moins de 500 000 bouteilles annuelles, selon le Commerce du Levant, Ixsir est aujourd’hui numéro 3 sur le marché local d’un pays où Bacchus, dieu de la vigne et du vin, a un temple romain à son nom à Baalbek, dans la plaine de la Bekaa.
Commercialisé aux États-Unis, en France et en Suisse, le vin Ixsir (mot arabe à l’origine du terme français élixir) s’exporte aussi... au Japon.
Des appuis au sommet de l’État
Carlos Ghosn, ressortissant libanais, brésilien et français, bénéficie également d’un certain crédit et d’appuis politiques au Liban. Lors des premières semaines qui avaient suivi son arrestation le 19 novembre 2018, des membres éminents du gouvernement avaient protesté contre les conditions de son arrestation.
Le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, avait ainsi convoqué l'ambassadeur du Japon à Beyrouth pour lui faire part de "points d'interrogations qui entourent les circonstances de l'arrestation de M. Ghosn et ses conditions de détention". "Le phénix libanais ne sera pas brûlé par le soleil du Japon", avait assuré de son côté le ministre de l'Intérieur de l’époque, Nohad Machnouk.
Une campagne d'affichage privée sous le slogan "Nous sommes tous Carlos Ghosn" avait au même moment fait son apparition dans certaines rues de Beyrouth, tandis que des photos du magnat de l’automobile avaient été posté sur les réseaux sociaux avec la mention "Innocent".
Mais dans ce pays secoué, depuis le 17 octobre, par un mouvement de contestation inédit contre la classe politique – accusée de corruption –, le retour de Carlos Ghosn fait grincer quelques dents.
Sur Twitter, Lucien Bourjeily, réalisateur de cinéma et militant actif de la contestation en cours, a commenté ce rebondissement de l’affaire Ghosn avec ironie. "Il est venu pour le confort et 'l'efficacité' d'un système judiciaire libanais qui n'a jamais mis un politicien en prison pour corruption, même si des milliards de fonds publics sont détournés chaque année", a-t-il écrit.
De son côté, la Direction générale de la sûreté générale libanaise a confirmé dans un communiqué que Carlos Ghosn était entré "légalement" au Liban, précisant qu'aucune mesure n'imposait "l'adoption de procédures à son encontre" et que rien ne "l'exposait à des poursuites judiciaires".