Selon un rapport publié lundi par Amnesty International, au moins 304 personnes auraient été tuées en Iran mi-novembre, pendant la répression de la contestation. D'après Nassim Papayianni, responsable des recherches sur l'Iran, ce bilan sera probablement revu à la hausse, à cause de l'utilisation par les policiers d'"une force létale et excessive contre les manifestants".
C'est un bilan lourdement revu à la hausse. Dans un communiqué publié lundi 16 décembre, l’ONG Amnesty International a estimé que 304 personnes avaient trouvé la mort en Iran lors de la répression de la contestation du 15 au 18 novembre, alors qu'un précédent bilan, établi le 2 décembre, s'élevait à 208 morts.
Durant cette période, des milliers de manifestants étaient descendus dans les rues pour protester contre la hausse des prix du pétrole, puis pour dénoncer le pouvoir en place. Les autorités avaient fait usage de la force pour réprimer le mouvement. Officiellement, seules cinq personnes ont été tuées : quatre membres des forces de l'ordre tués par des "émeutiers" et un civil. Annoncée début décembre par le gouvernement, la publication d'un bilan officiel sur la base des chiffres de l'institut médico-légal national se fait toujours attendre. De son côté, Philip Luther, directeur de recherche sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International demande à "la communauté internationale" de "prendre des mesures urgentes, notamment par l'intermédiaire du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies". Il exige "une enquête sur les homicides illégaux de manifestants, la vague effroyable d'arrestations, les disparitions forcées et la torture des détenus".
Interviewée par France 24, Nassim Papayianni, responsable des recherches sur l'Iran à Amnesty International, revient sur les méthodes d'enquête de l'ONG, et assure que le nombre de morts "augmentera" inévitablement.
France 24 : Pour quelles raisons le bilan des victimes a-t-il augmenté ?
Nassim Papayianni : Dans le communiqué du 2 décembre, nous avons mentionné le chiffre que nous avions pu vérifier jusque-là. Depuis, nous avons fait des recherches et des enquêtes en continu sur les informations que nous recevions à propos de ces décès. Voilà pourquoi les chiffres sont plus élevés. Et, nous ne comptons pas nous arrêter là : Amnesty International continue d'enquêter sur les personnes qui ont été tuées. Je crois que ce nombre augmentera.
Puisque les autorités iraniennes musèlent la liberté d’expression, comment avez-vous réussi à enquêter sur ces décès ?
Nous avons comptabilisé le nombre de morts à partir d'entretiens, notamment avec des proches des victimes, de journalistes et de militants des droits de l'Homme. Nous avons ensuite croisé et vérifié les informations qu’ils nous avaient données.
Mais rassembler tous ces renseignements a été très long parce que nous avons dû faire des recherches à distance. Les membres d’Amnesty International se trouvent, en effet, à l'extérieur du pays. Le blocage d’Internet par les autorités, dès les premières manifestations, ne nous a pas non plus aidé. Il était plus difficile de contacter nos sources pour obtenir des informations et les vérifier. Nous avons toutefois utilisé un moyen plutôt efficace : il y a environ deux semaines, nous avons publié sur les réseaux sociaux deux numéros de téléphone que les Iraniens pouvaient utiliser pour contacter Amnesty International via Whatapps ou Signal. Cette méthode nous a permis d’obtenir plus d'informations et de les recouper.
Aujourd’hui encore, notre capacité d’enquête est entravée. Une vague d'arrestations massives a lieu à l'intérieur du pays depuis le premier jour du mouvement de contestation. Le 26 novembre, 7 000 personnes avaient été arrêtées, selon l'ONU. Parmi eux, figurent des journalistes, des étudiants ou encore des défenseurs des droits de l'Homme. Selon Amnesty International, il s’agit, pour les autorités, de susciter la peur et probablement d’empêcher les gens de parler de ce qu'il se passe en Iran.
Comment expliquez-vous qu'il y ait eu autant de victimes en quatre jours de manifestations ?
Le mouvement de protestation a débuté le 15 novembre après l’augmentation du prix de l'essence en Iran. Mais les manifestants ont aussi exprimé une profonde insatisfaction face à la mauvaise gestion économique, la répression politique dans le pays. Ils demandaient un changement du système qui gouvernait le pays. Les autorités iraniennes ont utilisé une force létale et excessive contre les manifestants. La majorité des personnes décédées ont reçu des balles au cœur, à la tête, au cou et à d'autres organes vitaux. Si une grande partie des victimes sont mortes immédiatement après avoir été blessées, certaines sont décédées les jours suivants.
Beaucoup étaient des hommes âgés d’une vingtaine d’années. Ce n'était pas forcément des étudiants, des journalistes ou des défenseurs des droits humains. Aujourd'hui, nous pensons que ces groupes de personnes sont visés par les autorités iraniennes qui veulent les empêcher de parler de la répression.