De la place pour des milliers de familles, des loisirs pour les touristes : la ville nouvelle de Samjiyon, dans le nord de la Corée du Nord, a été inaugurée, lundi, par Kim Jong-un. Ce projet urbaniste représente un enjeu majeur pour le régime en termes d’image.
La Corée du Nord n’a pas fait dans la demi-mesure pour célébrer la renaissance de la ville de Samjiyon au pied du mythique mont Paektu, lundi 2 décembre. L’inauguration de cette nouvelle cité a été accompagnée d’un feu d’artifice, d’un discours fleuve, d’une cérémonie présidée par Kim Jong-un et d’une visite guidée de toutes les installations de cette cité décrite comme la concrétisation de “l’utopie socialiste” par les médias officiels.
En friche depuis le début des années 2000, ce vaste chantier urbain qui s’étend sur plusieurs centaines d’hectares a été présenté par le régime comme l’un des principaux projets économiques de Kim Jong-un. Samjiyon doit d’ores et déjà pouvoir accueillir “plus de 4 000 familles” qui peuvent être logées dans la douzaine d’immeubles de 12 à 18 étages déjà construits, précise l’agence officielle KCNA. Des logements supplémentaires doivent encore être aménagés dans les deux années à venir.
The date of the ceremony was apparently chosen as it marks the 2nd anniversary of Kim’s Dec 3, 2017 visit to Samjiyon (published in state media on December 9 that year) where he “pointed out the fundamental flaws” and righted the course of construction.https://t.co/BWFTlMDV1d pic.twitter.com/TBrFZ0YO8A
— NK NEWS (@nknewsorg) December 3, 2019La ville abrite aussi un stade, un hôpital, un centre commercial, et des usines de conditionnement de myrtilles et de pommes de terre, les deux spécialités de cette région située dans le nord du pays.
“Utopie socialiste” et travail forcé
Le site de cette gigantesque ville nouvelle n’a pas été choisi par hasard. Le mont Paektu qui sert de décor majestueux à Samjiyon est considéré comme le berceau du peuple coréen et la propagande officielle en fait le lieu de naissance de Kim Jong-il, le père et prédécesseur de l’actuel leader nord-coréen. Une manière d’inscrire cette ville à la fois dans la mythologie nationale et la lignée familiale. Deux aspects importants pour asseoir la légitimité de Kim Jong-un.
L’inauguration de Samjiyon est, avant tout, “un signe envoyé à l’intérieur du pays”, souligne Sebastian Harnisch, expert de la Corée du Nord à l’université de Heidelberg, contacté par France 24. Cette ville nouvelle est présentée comme le symbole d’un pays qui réussit à subvenir à ses besoins sans aide extérieure.
Frappée par des sanctions économiques drastiques, la Corée du Nord a eu du mal à se procurer les matières premières pour finaliser son ambitieux projet de rénovation urbaine, qui a subi de multiples retards de calendrier. “La souffrance que les forces hostiles à la République populaire démocratique de Corée [les États-Unis, NDLR] ont infligée à notre peuple s’est transformée en colère qui nous a mobilisés”, avait clamé Kim Jong-un, lors d’une précédente visite sur place en octobre dernier.
D’où l’insistance des médias de présenter cette ville nouvelle comme l’accomplissement de “l’utopie socialiste”. “C’est une manière pour Pyongyang de souligner que le régime est le dernier et seul représentant de l’idéologie communiste, et qu’il est capable d’en concrétiser les promesses”, analyse Sebastian Harnisch.
Un discours officiel critiqué par les transfuges nord-coréens et les organisations de défense des droits de l’Homme, qui dénoncent le recours au travail forcé de “brigades” de jeunes travailleurs pour tenir les délais, souligne le quotidien britannique The Guardian.
Station de ski et boutique de souvenirs
Si Kim Jong-un tenait tant à la réalisation de ce projet dans les temps, c’est aussi parce qu’il s’inscrit “dans l’effort de propagande du régime pour démontrer que la Corée du Nord vit une nouvelle ère sous l’impulsion de son dirigeant”, note Sebastian Harnisch.
Kim Jong-un veut montrer que son pays “joue dorénavant dans la même cour que la Chine et les États-Unis”, assure l’expert allemand. Il ne lui suffit pas de rencontrer en personne le président américain Donald Trump ou d’accueillir le dirigeant chinois Xi Jinping à Pyongyang. Pour briser l’image d’isolement international de son pays, le leader nord-coréen voulait une ville “moderne et ouverte à l’extérieure”, précise Sebastian Harnisch. C’est le rôle de Samjiyon, décrite comme prête à accueillir des touristes avec sa station de ski, son centre culturel, ses hôtels et… sa boutique de souvenirs !
C’est tout le paradoxe de cette ville nouvelle, dépeinte à la fois comme une “utopie socialiste”, unique au monde et une cité “moderne”, symbole d’une Corée du Nord prête à prendre sa place dans le concert des nations. Pour le régime, il ne reste plus qu’à se débarrasser des sanctions internationales pour que la Corée du Nord puisse réellement prétendre à une certaine normalité sur la scène internationale. À cet égard, “il y a une frustration grandissante à Pyongyang à l’égard des négociations avec les États-Unis, qui n’avancent pas assez vite pour la Corée du Nord”, note Sebastian Harnisch.
Pour cet expert, il faut maintenant s’attendre à une “provocation militaire de la part de Pyongyang pour se rappeler au bon souvenir de Donald Trump, que ce soit à travers un essai balistique ou dans le domaine nucléaire” dans un futur proche. La seule incertitude serait de savoir si la démonstration de force aura lieu avant Noël ou pas.