
Depuis un mois, le Chili vit une révolte populaire sans précédent. En cause, le modèle ultralibéral instauré pendant la dictature d'Augusto Pinochet, encore en vigueur aujourd’hui et qui a transformé le pays en l’un des plus inégaux au monde. Face aux centaines de milliers de manifestants, le président Sebastián Piñera et son gouvernement ont répondu avec une violente répression héritée de la dictature.
La scène est devenue habituelle dans les rues de Santiago, la capitale du Chili. Tous les jours depuis un mois, la Plaza Italia est prise d’assaut par des centaines de milliers de manifestants venus exiger au gouvernement du président Sebastián Piñera des réformes sociales et un renouveau de la classe politique. Un mouvement lancé par la jeunesse, qui s’est rapidement étendu à toute la population et notamment aux classes moyennes, surendettées et révoltées par la baisse drastique de leur pouvoir d’achat.
Lors de notre reportage, nous avons logé sur la Plaza Italia, bastion des manifestations. Nous avons pu constater que les émeutes suivent tous les jours le même déroulé : en début d’après-midi, une immense foule familiale et bon enfant se concentre sur la place au son de fanfares et de chants de résistance. Mais elle est rapidement dispersée par les forces de l’ordre à coups de jets d’eau et de gaz lacrymogènes. En début de soirée, il ne reste plus que les manifestants les plus radicaux – pour la plupart, des jeunes étudiants – prêts à en découdre avec les forces de l’ordre malgré la violence de la répression.
Ces images de violence ont fait le tour du monde et ont profondément marqué la société chilienne, toujours hantée par les vieux démons de la dictature d'Augusto Pinochet. Pour certains, le réveil du Chili a tourné au cauchemar : en un mois, les défenseurs des droits de l’Homme ont recensé près de 6 000 arrestations et 2 000 blessés, dont 200 touchés aux yeux par des projectiles antiémeute. Sans compter les 20 morts, dont au moins cinq abattus à balles réelles par les forces de l’ordre.
Cette soudaine explosion de colère au Chili semble avoir surpris le monde entier. Avec une croissance de 2,5 % par an, le pays s’est bâti la réputation d’être le plus stable d’Amérique latine. Pourtant, en 45 ans, son modèle économique ultralibéral hérité de la dictature l’a surtout transformé en l’un des pays les plus inégalitaires au monde : les 1 % les plus riches y concentrent près d’un tiers des richesses.
Un mois après le début des manifestations, et malgré quelques timides réformes sociales de la part du gouvernement Piñera, la situation semble toujours paralysée. Les Chiliens continuent de manifester tous les jours autour de la Plaza Italia, de plus en plus équipés pour faire face à la répression policière. Infatigables, ils ne sont pas prêts de relâcher la pression qui pèse sur l'exécutif conservateur. Parviendront-ils à finalement faire tomber le système hérité de Pinochet ?