Le président Evo Morales a annoncé, dimanche, qu’il "convoquerait de nouvelles élections" en Bolivie, après une contestation qui ne cesse de prendre de l’ampleur à son encontre. Comprendre les troubles actuels nécessite de remonter en 2016.
La contestation à l'encontre d'Evo Morales ne cesse de prendre de l'ampleur depuis sa réélection face à l'opposant et ancien président Carlos Mesa, le 25 octobre, pour un quatrième mandat consécutif à la tête de la Bolivie. Ces derniers jours, les tensions se sont accrues : des sièges de médias d'État ont été occupés, samedi, des axes routiers bloqués et des membres du parti présidentiel ont été pris pour cible.
L'Organisation des États américains (OEA), chargée depuis le 1er novembre de faire un audit sur le scrutin présidentiel, a quant à elle demandé, dimanche 10 novembre, l'annulation du premier tour de la présidentielle bolivienne. Dans la foulée, Evo Morales a annoncé qu'il "convoquerait de nouvelles élections qui permettront, en votant, au peuple bolivien d'élire démocratiquement de nouvelles autorités".
Le président bolivien fait écho à l'OEA, qui a demandé dans son communiqué à ce que "le processus électoral [redémarre] de nouveau, avec un premier tour organisé dès que [seront] mises en place les conditions donnant des garanties de son déroulement". L'Organisation des États américains semble avoir précipité sa communication au regard des tensions actuelles en Bolivie. "Leur décision était attendue mercredi", selon Christine Delfour, professeure des universités et spécialiste de la Bolivie, contactée par France 24.
"Des gens contre Evo Morales alors qu'ils étaient sa base électorale"
La spécialiste de la Bolivie se montre, par ailleurs, prudente sur l'annonce d'Evo Morales : "On ne sait pas si cela va changer les choses". La décision du président bolivien de "renouveler l'ensemble des membres du Tribunal électoral suprême (TSE)" semble faire écho aux manifestants qui rejettent le scrutin présidentiel. C'est ce même TSE qui avait proclamé la victoire d'Evo Morales dès le premier tour fin octobre, alors qu'un second tour se profilait après le dépouillement de 84 % des bulletins de vote.
Mais le mal semble plus profond. "Le soir de l'élection présidentielle, tout le monde a crié à la fraude [électorale], et cela s'est transformé en un élan de contestation contre le référendum de 2016, dont le résultat n'a pas été reconnu comme tel", explique Christine Delfour. Plus de 51 % des électeurs boliviens s'étaient alors prononcés contre un quatrième mandat d'Evo Morales. Ce dernier avait alors promis de "respecter les résultats", quels qu'ils soient. Il est pourtant passé en force pour concourir à un nouveau mandat.
"Ce qui est d'autant plus gênant pour Evo Morales, et on le voit actuellement", poursuit la spécialiste de la Bolivie, "c'est que dans tous les mouvements sociaux – qu'ils soient indigènes, ouvriers, etc. – à partir de 2016, il y a des leaders qui ont été très critiques par rapport à l'attitude [du président] de continuer, de tout faire pour trouver une astuce juridique pour se représenter. Et donc, il y a eu des scissions dans ces mouvements sociaux qui soutenaient en majorité Evo Morales. Des gens se sont positionnés contre lui et lui font payer le prix aujourd'hui, alors qu'ils composaient sa base électorale".
"La mutinerie de la police fait tâche d'huile"
Premier président indigène de Bolivie et dernier héros de la gauche latino-américaine qui avait accédé au pouvoir dans les années 2000, Evo Morales semble aussi déstabilisé par la "volonté de changement" qui semble s'imposer au sein de l'électorat bolivien. "Dans ce pays à la culture fondamentalement démocratique, on a une jeunesse qui vote aujourd'hui et qui n'a pas beaucoup de choix", selon Christine Delfour. Et elle précise : "Les deux leaders politiques – Evo Morales et Carlos Mesa – sont des vieux de la vieille. Le Mouvement vers le socialisme [MAS, parti au pouvoir] n'a pas été capable de faire émerger de nouveaux leaders, et l'opposition non plus."
À cette situation électorale qui alimente la contestation s'ajoute une mutinerie de la police dans au moins trois villes de Bolivie – à Cochabamba, à Sucre et à Santa Cruz – depuis vendredi. "Nous allons être du côté du peuple, pas avec les généraux", a déclaré l'un d'entre eux, vendredi, à l'AFP. Des dizaines de policiers ont par ailleurs défilé le même jour avec des manifestants de l'opposition, criant des slogans contre Evo Morales à La Paz. Samedi, les policiers de La Paz ont rejoint le mouvement de révolte en abandonnant la garde du palais présidentiel à Plaza Murillo.
"La mutinerie de la police fait tâche d'huile", précise la spécialiste Christine Delfour. "Certains des policiers ont eu des déclarations menaçantes face au général des armées boliviennes. […] Là, on est dans une dynamique d'affrontement et de violence." Pour le moment, le gouvernement bolivien a "totalement exclu" d'ordonner une opération militaire contre ces policiers qui se mutinent. Le ministre bolivien de la Défense, Javier Zavaleta, a expliqué vendredi qu'"aucune opération militaire ne sera[it] menée pour le moment".
Evo Morales a dénoncé vendredi un coup d'État "en cours". Selon Christine Delfour, pour le moment, "la tentative qui a l'air d'être réelle, c'est celle de le renverser lui, et avec, la volonté d'en finir avec le MAS."