Les forces de sécurité irakiennes ont tiré, lundi, sur des manifestants aux abords du siège de la télévision d'État, à Bagdad, ainsi que près du consulat iranien à Kerbala. Plusieurs morts sont à déplorer.
Pour la première fois depuis la reprise du mouvement de contestation le 24 octobre, les forces de sécurité irakiennes ont tiré sur des manifestants, lundi 4 novembre, à Bagdad. Ils ont ouvert le feu aux abords du siège de la télévision d'État, faisant au moins cinq morts, selon l’agence Reuters.
Quatre manifestants ont également été tués près du consulat iranien à Kerbala, où les manifestants bloquaient routes, administrations, infrastructures portuaires et pétrolières en réponse à l'appel du Premier ministre, Adel Abdel Mahdi, à "retourner à la vie normale". Dans la nuit, des manifestants ont tenté d'incendier la représentation diplomatique de l'Iran, pays voisin et grand parrain de la politique irakienne, dans cette ville sainte chiite à 100 km au sud de Bagdad, visitée chaque année par des millions de pèlerins iraniens.
Ils ont déployé des drapeaux irakiens sur son mur d'enceinte et y ont écrit "Kerbala libre, Iran dehors". Les forces de l'ordre ont répliqué avec des rafales de balles réelles, faisant quatre morts, selon des cadres de la médecine légale.
La place Tahrir, épicentre de la contestation
Depuis quelques jours, la colère des protestataires qui réclament "la chute du régime" se concentre sur l'Iran, l'une des deux puissances agissantes en Irak avec les États-Unis. Ces derniers sont absents des slogans des manifestants, et n'ont pas fortement réagi à la crise qui secoue l'Irak. À l'opposé, en octobre, le général Qassem Soleimani, commandant des opérations extérieures de l'armée idéologique iranienne, a multiplié les visites en Irak. Et les commentaires du guide suprême iranien, Ali Khamenei, qui dénonce un "complot" américain et israélien n'ont fait qu'exacerber l'ire des Irakiens.
À Bagdad, sur la place Tahrir, épicentre de la contestation dans la capitale, les manifestants s'organisent. Dans les dizaines de tentes, les Irakiens proposent des soins médicaux, des conseils juridiques, des fournitures ou plats chauds. Tout est proposé gratuitement. "Tout est fourni par des Irakiens. Quand j'appelle mes amis et que je leur dis que j'ai besoin de soutien, le soutien arrive, explique à France 24 Ayad Kadhim Muhsen, bénévole. Malgré toutes les ressources de l'État, le gouvernement n'a pas ce que nous avons."
La place Tahrir est devenue l'État-modèle auquel aspirent les Irakiens. La contestation, née le 1er octobre, a été marquée par des violences meurtrières qui ont fait, officiellement, au moins 260 morts. Les promesses d'élections anticipées, de réformes du système des embauches et des retraites, n'ont en rien apaisé la colère des Irakiens.
Impact économique important
À Bagdad et dans le sud du pays, la plupart des écoles publiques n'ouvrent plus leurs portes, tandis que dans plusieurs villes du sud, des cortèges de manifestants ont accroché d'immenses banderoles "Fermé au nom du peuple" sur des dizaines de bâtiments publics et bloqué des routes et des ponts, paralysant la circulation sur les grands axes.
La route menant au port d'Oum Qasr, dans le sud, vital notamment pour les importations alimentaires de l'Irak, est désormais coupée par des blocs de béton sur lesquels est inscrit "Fermé sur ordre du peuple". Dans le port même, des dizaines de bateaux ont repris la route sans avoir pu décharger leurs cargaisons.
À Missane, toujours dans le sud, les manifestants bloquaient deux champs pétroliers exploités par des compagnies chinoises : Halfaya, l'un des plus grands champs du pays, deuxième producteur de l'Opep, et Buzurgan. Dans l'autre ville sainte chiite du pays, Najaf, les manifestants ont symboliquement effacé le nom de la rue "Imam Khomeini" pour la renommer "Rue de la révolution d'octobre".
Signe que les autorités s'inquiètent d'un impact économique important, le Premier ministre, Adel Abdel Mahdi, est sorti de son silence dimanche soir, assurant que "de nombreuses revendications ont déjà été satisfaites" et qu'il faut maintenant "retourner à la vie normale".
Une militante enlevée
Cette mobilisation inédite est menacée par une campagne d'intimidation et des violences, régulièrement dénoncée par la communauté internationale et les défenseurs des droits humains. Des médias ont été attaqués, des blogueurs et des militants enlevés et plusieurs figures ont dénoncé une "nouvelle République de la peur".
Dimanche, la Commission gouvernementale des droits humains a annoncé l'enlèvement de la militante et médecin Saba Mahdaoui, dénonçant "des opérations d'enlèvement organisées", alors qu'une autre militante vient tout juste d'être libérée.
La mère de cette dernière et des militants ont affirmé qu'elle avait été kidnappée par des hommes "armés et masqués à bord de pick-up" alors qu'elle revenait de Tahrir dans la nuit de samedi à dimanche. "C'est une honte pour toute la société irakienne", a dénoncé le chef de la Commission parlementaire pour les droits humains.
Avec AFP et Reuters