Opération propagande pour le leader nord-coréen Kim Jong-un qui a effectué, mardi, une virée très médiatique à dos de cheval sur le mont Paektu. Une série de références symboliques généralement associées à une prochaine annonce majeure du régime.
Kim Jong-un sur un cheval blanc. Le leader nord-coréen s'est adonné à un galop médiatique dont son service de propagande a le secret. L'agence de presse officielle du régime, KCNA, a ainsi dévoilé, mardi 15 octobre, une série de clichés du dirigeant à cheval sur fond de neige au mont Paektu.
"Cette chevauchée sur le mont Paektu est un événement de grande importance dans l'histoire de la révolution coréenne", a précisé avec emphase le communiqué de KCNA. De l'avis général des médias occidentaux, cette mise en scène pourrait effectivement constituer le signe avant-coureur d'une "annonce majeure dans les jours qui viennent", comme le souligne notamment The Guardian.
Le mont Paektu, premier symbole
Difficile, cependant, pour un observateur extérieur qui ne serait pas passé maître ès propagande nord-coréenne de comprendre la portée de cette randonnée bucolique à dos de cheval. Pourtant, chaque détail de cette opération de com' joue avec des références lourdes de sens dans la mythologie créée par le régime.
Le plus évident est l'ascension du mont Paektu. À la frontière avec la Chine, ce sommet, le plus haut de la péninsule coréenne (2 744 mètres), "est fondamental dans l'imaginaire populaire car c'est le lieu de naissance de Tangun, le fondateur de la nation coréenne", rappelle Antoine Bondaz, spécialiste de la Corée du Nord à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), contacté par France 24.
La dynastie des Kim a toujours cherché à établir une filiation symbolique avec la lignée de Tangun à travers cette montagne. Ainsi, "Kim Jong-un est officiellement né sur le mont Paektu et il était jusqu'à peu encore le représentant élu de la circonscription de Paektu", précise Antoine Bondaz.
Le dirigeant nord-coréen s'est rendu à trois reprises sur place. Des visites qui, à chaque fois, ont donné lieu à un grand raout médiatique et coïncidaient avec une décision politique majeure. Ainsi, en 2018, Kim Jong-un a notamment emmené le président sud-coréen Moon Jae-in sur le Mont Paektu à l'occasion du sommet historique entre les deux Corées. Un an plus tôt, il s'y était aussi fait photographier peu après le tir du plus important missile balistique à longue portée de l'arsenal nord-coréen.
Un cheval rappelant un passé légendaire
Mais il n'y était encore jamais allé à cheval. Là aussi, ce détail ne doit rien au hasard. "Cette iconographie fait notamment référence au roi Tongmyong [également appelé Jumong, NDLR], fondateur du royaume de Koguryo", explique Antoine Bondaz. Fondée au premier siècle avant notre ère, cette période symbolise une péninsule unifiée, débarrassée de l'influence de puissances étrangères. Le roi Tongmyong est souvent représenté aux côtés d'un cheval et, dans la légende, il aurait même chevauché une licorne blanche…
Dans la tradition nord-coréenne, le cheval "est aussi symbole de raffinement et de pureté des dirigeants. Le centre équestre de Mirim, à Pyongyang, accueille d'ailleurs un musée tout entier consacré à la pratique équestre" de la famille des Kim, souligne Antoine Bondaz.
Autant de références qui n'échappent pas aux Nord-Coréens. "C'est donc avant tout un message important pour des raisons de politique intérieure, à destination du parti et de la population. Kim Jong-un leur indique qu'il vient puiser dans la force du mont Paektu en réinscrivant le régime dans la longue histoire nationale pour prendre et annoncer des décisions importantes", analyse le spécialiste de la FRS.
Annonce militaire ou économique ?
Ces photos servent donc à préparer les esprits, d'abord à l'intérieur du pays, mais aussi à l'extérieur. Les médias occidentaux ont été prompts à évoquer la possible annonce d'une reprise des essais nucléaires et balistiques. "Les négociations avec les États-Unis sont au point mort et Donald Trump a actuellement d'autres préoccupations qui l'accaparent, ce qui pourrait pousser Kim Jong-un à revenir sur sa décision d'interrompre les essais militaires", estime Laura Bicker, correspondante de la BBC à Séoul.
Sans exclure cette possibilité, Antoine Bondaz suggère des projets moins belliqueux comme "une initiative spatiale ou l'ouverture en 2020 de nouveaux complexes touristiques". Pyongyang pourrait ainsi être tenté de lancer un satellite, "ce qui apparaîtrait moins agressif qu'un missile, tout en démontrant un certain niveau de maîtrise technologique", explique au quotidien Japan Times Vipin Narang, spécialiste de la Corée du Nord au Massachusetts Institute of Technology (MIT).
La promotion du tourisme est aussi devenue un enjeu économique important pour Kim Jong-un. La réouverture de la région des monts Kumgang – à la frontière avec la Corée du Sud – est l'un des sujets des négociations avec les États-Unis. Cette zone touristique spéciale avait été fermée en 2008 après la mort d'un touriste sud-coréen, abattu par un soldat nord-coréen après s'être aventuré par mégarde en territoire interdit. Le régime construit aussi un vaste complexe touristique sur le comté de Samjiyon, qui abrite notamment le mont Paektu.
Le fait que la machine de propagande n'ait pas donné davantage de précisions sur la nature des décisions à venir "permet à Kim Jong-un de conserver une certaine flexibilité quant à ce qu'il va annoncer", conclut Antoine Bondaz. Il garde ainsi ses options ouvertes en fonction de l'évolution des négociations avec les États-Unis.