Alors que les Tunisiens sont appelés aux urnes, dimanche 6 octobre, pour élire leurs députés, les électeurs croisés dans le centre historique de Tunis peinent à se passionner pour ce scrutin souffrant de sa proximité avec la présidentielle.
Vêtements, tapis, artisanats… Dans le quartier de la Médina, la partie la plus ancienne de Tunis, les habitants sont venus se rafraîchir et faire leurs emplettes dans le dédale de ruelles protégé de la chaleur écrasante tunisoise. À la veille du scrutin des législatives du 6 octobre où sept millions de Tunisiens sont appelés aux urnes pour élire les 217 députés de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), les regards se détournent et les visages se crispent à l'évocation de la politique.
Plutôt que de répondre à des questions sur le sujet, les clients préfèrent passer leur chemin ou se passionner subitement pour les petites pâtisseries locales, les makroudhs chauds, proposées par les vendeurs sur leurs étals. Les marchands font semblant d'être affairés malgré des boutiques vides. Après un premier tour de la présidentielle marqué par l'abstention – près de 55 %, les législatives semblent susciter peu d'intérêt. À l'image de Faouzia, institutrice entre deux âges :
"C'est le flou total ces élections. Il y a trop de listes, on ne les connaît pas et on n'y comprend rien. On devrait les boycotter", s'exclame la Tunisoise. "Je ne vais pas aller voter. Toute cette classe politique, je ne lui fais plus confiance. Ils n'ont rien fait depuis 2011."
Au milieu des boutiques, le Tunisois clamant son intention de voter est une denrée rare. Il faut bien chercher dans ce labyrinthe, à la fois marché et souk populaire, pour le dénicher. Mohammed, 45 ans, est l'un d'entre eux. Depuis la révolution, ce marchand de vêtements vote à chaque élection. Et il compte bien se rendre aux urnes, dimanche, pour les législatives et le 13 octobre pour le second tour de la présidentielle.
"On ne vote que tous les cinq ans. Je veux donner mon opinion. Si je n'y allais pas, je le regretterais", explique le commerçant, vêtu d'un bleu de travail. "Beaucoup critiquent ce deuxième tour de la présidentielle entre Kaïs Saeïd et Nabil Karoui. Mais pour moi, ce sont deux personnes qui peuvent faire bouger les choses en Tunisie."
"C'est bon signe pour la démocratie d'avoir autant de propositions différentes"
Ce duel entre le constitutionnaliste conservateur et le magnat des médias, actuellement en détention provisoire pour blanchiment d'argent, passionne davantage les foules que le scrutin des législatives. Il faut dire qu'entre les 15 000 candidats déclarés répartis sur 1 500 listes pour seulement 217 sièges à l'Assemblée des représentants du peuple, les Tunisiens se sentent perdus dans leur choix.
Pourtant, sur le papier, les législatives représentent un scrutin bien plus important que la présidentielle dans la mesure où la Tunisie est un régime parlementaire. Selon la Constitution, le président ne dispose que de peu de pouvoirs alors que le parti qui sera majoritaire dimanche gouvernera le pays pour les cinq prochaines années.
Pour Mohammed, 23 ans, vendeur de parfums dans une petite affaire familiale, cette multiplicité des possibilités est pourtant une bonne chose ; "C'est bon signe pour la démocratie d'avoir autant de propositions différentes", avance-t-il entre deux démonstrations de son bagout pour vendre les petites fioles d'huiles essentielles qui, selon ses mots, rivalisent avec les plus grandes fragrances des enseignes françaises.
Facile à dire pour lui qui n'aura pas à se prononcer. En effet, le jeune homme a raté l'inscription sur les listes électorales malgré la campagne intensive de l'Isie, l'instance indépendante organisant les élections, pour inscrire au forceps près de 1,5 million de nouveaux citoyens sur les listes. Il le regrette. Il pense que le nouveau gouvernement aura fort à faire pour résoudre les problèmes de la Tunisie, à commencer par l'économie.
Des problèmes qui ne seront résolus que sur le long terme
"Il y a 10 ans, une banane valait un dinar, aujourd'hui c'est sept. Tout est devenu cher", s'enflamme-t-il devant le regard approbateur de son oncle qui n'ira pas voter non plus. "Il faudrait en finir avec la corruption des fonctionnaires aussi. Il y a trop d'obstacles administratifs pour ceux qui veulent être entrepreneurs. Mais tout ça, ce ne sont pas des problèmes que le prochain gouvernement pourra changer. Ça devra se résoudre sur 20 ans."
Malgré la crise sociale et économique que traverse le pays et la désertion des touristes, certains des commerçants veulent toujours y croire. Comme Djamel, 47 ans, vendeur de tapis dans un groupement artisanal au cœur de la Casbah. Il veut croire que la Tunisie arrivera à surmonter cette morosité démocratique. Et que les solutions se mettront en place sur le long terme.
"Je vais voter. C'est important. Les gens sont fâchés avec la politique et veulent tout et tout de suite. Si on veut que ça change, il faut voter. Surtout aux législatives qui sont très importantes dans notre système", explique-t-il au milieu des tapis artisanaux importés des quatre coins du Maghreb. "Le changement prend du temps. La démocratie tunisienne est jeune, elle apprend petit à petit", conclut-il, philosophe.