L’enquête sur l’assassinat d’un ressortissant géorgien vendredi à Berlin n’écarte pas l’hypothèse d’un meurtre commandité par les services secrets russes. Une hypothèse renforcée par le profil très particulier de la victime.
Il était 11 h 58, vendredi 23 août, lorsqu’un ressortissant géorgien a été abattu par un homme à vélo dans un petit parc du quartier berlinois de Moabit. Même si le lieu est réputé pour être utilisé par des trafiquants de drogue, le profil de la victime et la nationalité du principal suspect - un Russe - suggèrent que le meurtre aurait plutôt des motifs politiques.
Les autorités allemandes ont d’ailleurs reconnu, dimanche 25 août, n’exclure aucune piste, y compris celle d’un tueur à gage agissant sur ordre d’un service de renseignement étranger. "Si cette piste s’avérait fondée, ce serait un scandale national", estime l’hebdomadaire allemand Spiegel. Berlin n’a aucune envie d’avoir sa propre affaire Skripal sur les bras, du nom de cet ex-agent double russe qui a échappé en Angleterre, en 2018, à une tentative d’assassinat qui aurait été organisé par les services secrets russes. Cet épisode avait jeté un froid diplomatique entre Londres et Moscou.
Bien connu du renseignement russe
Pour l’instant, les enquêteurs allemands semblent pencher pour l’hypothèse "d’un meurtre commandité et exécuté professionnellement", affirme le magazine, citant des sources proches de l’enquête. Un témoin de la scène a raconté au Berliner Morgenpost, l’un des principaux quotidiens de la capitale allemande, que la mise à mort lui avait fait penser à une "exécution". Le tueur a tiré deux balles dans la tête de sa victime. Une description très détaillée du tireur a permis à la police de rapidement appréhender le suspect, un ressortissant russe de 49 ans originaire de Tchétchénie.
La thèse d’un meurtre aux ramifications politiques tient surtout à la personnalité de la victime. Ce Géorgien de 40 ans était proche des services de sécurité de son pays et aurait aidé à combattre l’influence russe en Géorgie, d’après les informations recueillies par le Spiegel. Géorgien d’origine tchétchène, il a également participé à la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2000) aux côtés des indépendantistes contre l’armée russe, puis à des opérations de guérilla jusqu’en 2005, d’après EMC, une organisation géorgienne de défense des droits de l’Homme, financée en partie par des fonds européens.
Cet activisme a valu à la victime d’être dans le collimateur des services de renseignements russes. En 2008, il avait ainsi été désigné par les services secrets russes, le FSB, comme le chef d’un groupe terroriste islamiste, rappelle le quotidien allemand Tageszeitung.
Plusieurs tentatives d’assassinat
Ce Géorgien a aussi été la cible de plusieurs tentatives d’assassinat depuis la fin des années 2000. En 2009, il survit à un empoisonnement, puis en 2015, il est gravement blessé par balles au bras lors d’une embuscade armée à Tbilissi, la capitale de la Géorgie. Après cet épisode, il se réfugie en Ukraine où il reçoit aussi des menaces de mort. Il décide alors, fin 2016, de se rendre avec sa famille en Allemagne où il dépose une demande d’asile.
Dans un premier temps, les autorités allemandes ont considéré ce musulman pratiquant comme un islamiste radical et l’ont surveillé jusqu’en 2018, date à laquelle ils ont révisé leur jugement. Contacté par les médias allemands, des proches de la victime ont assuré qu’il n’avait rien d’un fanatique religieux, ayant même, par le passé, dissuadé plusieurs jeunes Géorgiens de rejoindre l’organisation terroriste État islamique en Syrie.
Les premiers éléments de l’enquête semblent également indiquer que ce meurtre n’a rien d’un banal règlement de compte. Le principal suspect venait tout juste d’arriver de Russie et avait déjà tout organisé pour repartir aussitôt, a appris le magazine Spiegel. L’arme qu’il a utilisée était équipée d’un silencieux, et il avait garé une moto à l’entrée du parc pour pouvoir quitter les lieux au plus vite, indique, de son côté, le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Autant d’éléments pris très au sérieux par les autorités allemandes. Le bureau du procureur général a indiqué, lundi 26 août, être entré en contact avec les enquêteurs berlinois. C’est cet organisme fédéral qui a autorité pour enquêter sur les agissements d’agents des services secrets étrangers.