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Planter quatre milliards d’arbres en Éthiopie, des paroles ou des actes ?

En proie à une déforestation massive, l’Éthiopie s’engage à planter quatre milliards d’arbres sur son territoire d’ici octobre. Un projet louable mais qui peine à convaincre de son efficacité.

Les mains dans la terre et l’air appliqué, le chef du gouvernement éthiopien, Abiy Ahmed, a planté un arbre devant les caméras, lundi 29 juillet, à Sodo, dans le sud de l’Éthiopie. Une scène de communication bien huilée censée montrer l’exemple aux 100 millions d’habitants que compte le pays. À travers un programme écologique ambitieux, lancé en mai dernier, et baptisé "Héritage vert" ("Green Legacy Initiative"), l’Éthiopie prévoit de planter quatre milliards d’arbres d’ici octobre pour promouvoir la reforestation, dans le but de lutter contre le réchauffement climatique.

Exemptés de travail ce même lundi, les fonctionnaires étaient ainsi invités à empoigner une pelle et à imiter leur Premier ministre. Une opération réussie puisqu’au total, "23 millions de personnes de toutes les franges de la société y ont pris part", se félicite l’agence de presse éthiopienne, ENA.

PM Abiy calls upon everyone in #Ethiopia to go out and #PlantYourPrint. #PMOEthiopia pic.twitter.com/leQdUBv849

  Office of the Prime Minister - Ethiopia (@PMEthiopia) July 29, 2019

Un record mondial selon les autorités

En tout, 350 millions d’arbres auraient été plantés dans le pays ce jour-là, soit un record mondial, selon les autorités. Un chiffre qui a toutefois déclenché un certain scepticisme dans l'opposition. "Personnellement, je ne pense pas qu'on en ait planté autant", estime Zelalem Worqagegnehu, porte-parole du parti Ezema. Si les chiffres restent difficilement vérifiables, l’Éthiopie a toutefois des chances d’avoir détrôné l’État indien de l’Uttar Pradesh, qui avait planté 50 millions d’arbres en une journée, en 2016.

À travers cette opération largement relayée dans les médias, le pays cherche à sensibiliser sa population face à la déforestation massive dont il a fait l’objet au cours du XXe siècle. Il y a 50 ans, les forêts couvraient environ 40 % de l’État africain, contre près de 15 % aujourd'hui, selon l'Institut de recherche éthiopien sur l'environnement et les forêts. La déforestation a asséché durement les terres, réduisant les récoltes, et a provoqué une érosion des sols, avec glissements de terrains et éboulements meurtriers.

Des ambitions écologiques

La reforestation apparaît alors comme un moyen efficace de réduire la mortalité liée aux sécheresses, en retenant l’humidité dans les sols, évitant ainsi les hécatombes dans les cheptels. Revégétaliser permet également de produire de l’oxygène et de renforcer le revenu des agriculteurs, rapporte à l'AFP Tim Christophersen, président du Partenariat mondial sur la restauration des forêts et des paysages.

Le plan "Héritage vert" s’inscrit dans une stratégie plus globale pour l’Éthiopie qui avait déjà affiché des positions très volontaristes pour verdir son territoire, à l’occasion de grandes conférences environnementales, comme lors de la COP21 en 2015. Pour rappel, l’Éthiopie est un des cinq pays considérés comme ayant une contribution "suffisamment ambitieuse" à l'accord de Paris de 2015 sur le climat, destiné à contenir le réchauffement climatique, souligne encore Tim Christophersen.

Des informations encore floues

Mais si Abiy Ahmed a su mobiliser ses citoyens avec cette cause écologique, certains n’hésitent pas à critiquer le flou entretenu par le gouvernement autour des modalités de ce projet de reforestation massive. Développée par les autorités, une carte interactive permet de constater l’évolution de l’ambitieux programme. Mais les informations y restent toutefois parcellaires, comme le remarque Addis Fortune, un média éthiopien indépendant. "On ne connaît ni le nom des plantes, ni l’emplacement des pépinières. (...) Nous ne savons pas non plus où les arbres sont plantés, ni par qui." Difficile de connaître également la part de plantations provenant des pépinières du pays et celles importées de l’étranger.

View a detailed breakdown of #GreenLegacy seedlings planted at zonal level within each region through our interactive map: https://t.co/ugpZ4c7pME pic.twitter.com/bV2XrplnMv

  Office of the Prime Minister - Ethiopia (@PMEthiopia) July 31, 2019

L’efficacité d’un tel plan peine à convaincre. Car à ce jour, 2,6 milliards d’arbres auraient été plantés dans tout le pays, en priorité dans les régions les plus touchées par la déforestation. Mais si planter des arbustes reste une mesure louable, encore faut-il qu’ils arrivent à maturité. Or le manque d’entretien des forêts est un problème récurrent en Éthiopie : sur les 4 milliards d’arbres plantés entre 2000 et 2015, seuls 20 à 30 % ont survécu, indique l’agence de presse éthiopienne.

L’écologie au détriment d’autres enjeux

Reste également la question des espèces choisies pour cette reforestation. Car comme l’évoque Addis Fortune, certaines espèces, comme des arbres fruitiers et des peupliers, pourraient ne pas s’épanouir au contact du sol éthiopien particulièrement sec. Ainsi, "planter des arbres chaque jour, sans tenir compte des conditions d’environnement, ou dans le but de battre un record du monde est au mieux stupide et peut ruiner la confiance entre les autorités et les citoyens", avertit le journal. S’ajoute enfin au manque d’entretien le problème des pâturages. Car les bêtes continuent de paître sur les terres nouvellement plantées, menaçant le développement des plants.

Pour l’opposition, les ambitions écologiques d’Abiy Ahmed se résumeraient davantage à un plan de communication, permettant de détourner l’attention d’autres problèmes touchant le pays. En tête, celui des conflits ethniques qui ont provoqué, depuis 2018, le déplacement de près de trois millions de personnes en Éthiopie.