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"Pays tiers sûr", le statut que Donald Trump veut imposer à l'Amérique centrale

Donald Trump a menacé le Guatemala de sanctions économiques après son refus de devenir un "pays tiers sûr". Ce statut permettrait à Washington de renvoyer les demandeurs d’asile vers un autre pays par lequel ils auraient transité.

Donald Trump persiste face au refus du Guatemala de devenir un "pays tiers sûr". Ce statut obligerait le gouvernement guatémaltèque à traiter les demandes d'asile et à accueillir les migrants transitant par ce pays d'Amérique centrale pour se rendre aux États-Unis. Le locataire de la Maison Blanche, lui, insiste, quitte à user de menaces envers le Guatemala pour parvenir à ses fins.

"Le Guatemala, qui a créé et envoyé des caravanes constituées de nombreuses personnes – certaines avec des antécédents criminels–, a décidé de rompre notre accord sur un statut de 'pays tiers sûr'. Tout était prêt. Nous allons donc regarder pour un 'BAN' [une suspension des autorisations de voyager pour les ressortissants d'un pays donné, NDLR], imposer des tarifs douaniers ou de conversion, ou les trois en même temps. Le Guatemala n'a pas été bon. Tous les dollars que leur envoyaient les citoyens américains via leurs impôts ont été coupés il y a neuf mois grâce à moi", a déclaré mercredi 24 juillet le milliardaire américain dans une série de tweets cinglants dont il est coutumier.

....Tariffs, Remittance Fees, or all of the above. Guatemala has not been good. Big U.S. taxpayer dollars going to them was cut off by me 9 months ago.

  Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 23 juillet 2019

Et de réitérer ses menaces en conférence de presse à la Maison Blanche : "On va créer des tarifs douaniers ou quelque chose de ce genre. On regarde pour imposer quelque chose de très sévère au Guatemala", a-t-il promis.

Un statut de pays tiers sûr

Donald Trump pousse pour que l'État guatémaltèque accepte un statut de "pays tiers sûr". Ce statut permettrait aux États-Unis de rejeter la demande d’asile d’une personne qui aurait transité par un pays tiers considéré comme "sûr" en vertu d'un accord. Le demandeur d'asile serait contraint d'effectuer sa demande dans ce dernier, plutôt qu'aux États-Unis.

Ce type d'accord existe déjà entre le Canada et les États-Unis ou encore entre les différents pays de l'Union européenne – le réglèment Dublin– et contraint les migrants à effectuer leur demande d'asile dans l'un des pays considérés comme "sûrs" qu'ils ont traversés.

Le gouvernement guatémaltèque a semblé un temps intéressé par la proposition, malgré une forte opposition locale. Il avait annoncé la visite du chef de l'État, Jimmy Morales,  à Washington le 22   juillet pour traiter de "sujets de migration et de sécurité", sans plus d'informations, faisant craindre aux opposants une signature en catimini de l'accord.

Le Guatemala a finalement annulé ce rendez-vous la veille. Dans la foulée, la Cour constitutionnelle, saisie de trois recours, a émis tard dans la soirée une injonction provisoire empêchant le Guatemala de se constituer en "pays tiers sûr". Tout accord en ce sens devrait d'abord être approuvé par le Parlement, selon la Cour, plus haute juridiction du pays.

Le report du rendez-vous confirme que la signature de l'accord, "une action illégale et perverse", est prévue, a tweeté Jordan Rodas, un des opposants au projet et auteur de l'un des recours.

Las decisiones sobre política exterior de @GuatemalaGob, carecen de transparencia y son contrarias al bien común. @CC_Guatemala realiza su labor en defensa del orden constitucional, y ahora, @GuatemalaGob los responsabiliza y evade las consecuencias de sus propias disposiciones. https://t.co/nInpnC00F5

  Jordán Rodas Andrade (@JordanRodas) July 23, 2019

Pour l'ancien ministre des Affaires étrangères Edgar Gutierrez, un tel accord ferait du Guatemala "le plus grand camp de concentration de l'Histoire".

"Actuellement, 360 000 migrants passent chaque année par ici". Si l'accord avec les États-Unis était adopté  "en dix ans, nous aurions 7 millions de migrants ici", a-t-il déclaré au quotidien El Periodico.

Offensive diplomatique de l'administration Trump

Élu sur la promesse de fermeté migratoire, Donald Trump est passé à l'offensive diplomatique ces derniers mois. Si le mur qu'il promet d'étendre à l'ensemble de la frontière sud des États-Unis constitue le symbole visible de sa politique, le président américain tente désormais de déléguer à ses voisins le soin de stopper le migrant.

Originaires en grande majorité de pays pauvres et violents d'Amérique centrale, Guatemala, Salvador et Honduras en tête, les migrants qui gagnent les États-Unis déposent généralement une demande d'asile qui leur permet de se maintenir sur le territoire américain le temps de l'examen de leur dossier par un juge de l'immigration. Le gouvernement les accuse de disparaître ensuite et de gonfler le nombre des quelque 10,5 millions de sans-papiers présents aux États-Unis. C'est pour cette raison que Donald Trump souhaiterait recourir au statut de "pays tiers sûr".

Avant le Guatemala, c'est le Mexique que Donald Trump avait déjà menacé début juin de taxes douanières. Il avait ainsi obtenu que son voisin du Sud renforce ses contrôles à la frontière et lutte davantage contre les réseaux de passeurs, ce qui a permis de réduire les arrivées de 28 % en juin. L'administration américaine voudrait également que Mexico accepte de devenir un "pays tiers sûr" mais Marcelo Ebrard, le ministre des Affaires étrangères mexicain, refuse catégoriquement.

Le Guatemala et le Mexique ne réunissent pas les conditions pour les ONG

Il ne suffit cependant pas d'un accord entre deux pays pour qu'une nation soit considérée comme sûre pour des exilés. Selon la convention de Genève de 1951, le "pays tiers sûr" doit respecter des conditions minimales : il doit s'engager à ne pas renvoyer le demandeur dans son pays d'origine mais aussi garantir à celui-ci un droit au séjour, à l’hébergement, à la réunification familiale, à l'accès aux soins, un accès au travail mais aussi sa sécurité.

C'est sur ces points qu'alertent Amnesty International et d'autres organisations de défense des droits de l'Homme. Ils soulignent que ni le Guatemala ni le Mexique ne réunissent les conditions pour être un "pays sûr". "La législation au Guatemala [...] ne permet pas de distinguer ceux qui recherchent une protection contre la violence ou de graves menaces pour leur sécurité et les autres", relève Juliana Cano Nieto, directrice adjointe d'Amnesty pour les Amériques. En autres termes, les niveaux de violences dans ces pays ne permettent pas de garantir la sécurité des demandeurs d'asile.

"Nous exhortons donc le Mexique et le Guatemala à s’abstenir de signer des accords de 'pays tiers sûr' avec les États-Unis", appelle l'ONG dans un communiqué.

Plusieurs experts des migrations doutent également des capacités du Guatemala à traiter les demandes de migrations si un tel accord devait être adopté : "Quand on voit les problèmes que l'afflux migratoire a posés aux systèmes de pays riches comme les États-Unis, le Canada ou de l'Union européenne pour augmenter les capacités de leur système de demande d'asile, il est peu probable qu'un pays comme le Guatemala y arrive", explique Susan Fratzke, analyste pour l'institut des politiques migratoires et ancienne du Bureau américain des poulations, réfugiés et migrations, interrogé par Forbes.

Parallèlement, l'administration Trump tente également de limiter drastiquement l'accès à l'asile au niveau de son propre pays. Une décision gouvernementale prévoyait le rejet de toutes les demandes d'asile présentées par des migrants n'ayant pas sollicité le statut de réfugié au Mexique ou dans d'autres pays traversés sur leur route vers les États-Unis. Un juge fédéral en Californie a finalement bloqué la décision le 24 juillet.