Des OGM "nouvelle génération" pourraient être importés en plus grand nombre si le Ceta est signé, a averti vendredi le réseau européen de l'ONG Les Amis de la Terre, s'inquiétant que l'UE n’ait pas les outils pour les détecter.
Le colza et le soja de la colère. Les importations d’Amérique du Nord de ces plantes – qui seraient facilitées en cas de signature de l’accord commercial controversé Ceta entre l’Europe et le Canada – risquent de faire entrer sur le territoire européen des organismes génétiquement modifiés (OGM) "illégaux", a affirmé le réseau européen de l’ONG environnementale Les Amis de la Terre, vendredi 19 juillet.
Les États européens ne sont, en effet, pas équipés pour tester la présence des OGM de "nouvelle génération" qui sont présents dans le colza produit à grande échelle au Canada et exporté par l’entreprise Cibus, et dans une variété de soja commercialisé par la société étatsunienne Calyxt. La faute aux autorités européennes "qui n’ont pas jugé utile en 2017 de mener les recherches nécessaires pour développer les outils permettant de repérer ces nouvelles techniques de modifications génétiques", explique Mute Schimpf, en charge des questions de sécurité alimentaire pour le réseau européen des Amis de la Terre, contacté par France 24.
Transgenèse vs mutagenèse
Cibus a beau vanter la résistance de son colza à certains herbicides et Calyxt affirmer que son soja est plus sain pour l’homme, il n’en reste pas moins qu’"en tant qu’OGM, ils doivent entrer dans les catégories autorisées à être commercialisées en Europe, et en l’absence de procédure de tests disponibles, ces plantes vont arriver en Europe sans qu’on le sache, ce qui est illégal", explique la militante.
Le problème ne découle pas seulement de l’augmentation attendue de l’importation de colza canadien en cas de signature du traité Ceta. "Pour éviter que Washington n’impose des droits de douanes supplémentaires sur les exportations européennes, Bruxelles a accepté de doubler les importations de soja américain et, actuellement, près de 70 % des importations européennes de soja viennent des États-Unis", note Mute Schimpf. En d’autres termes, pour faire plaisir au président américain Donald Trump, les pays européens importent peut-être déjà ces plantes génétiquement modifiées 2.0.
Au cœur de cet imbroglio commercial et sanitaire, il y a le flou qui a longtemps entouré le statut des OGM de "nouvelle génération" en Europe. La première génération de modifications génétiques est appelée la transgénèse, c’est-à-dire que les scientifiques "isolent un gène dans un organisme vivant pour le transférer [d’où le "trans", NDLR] à la plante afin d’obtenir la modification souhaitée d’une de ses caractéristiques", explique Christian Berdot, expert des OGM pour Les Amis de la Terre dans les Landes, contacté par France 24. Évolution technologique oblige, il a ensuite été possible de sauter l’étape du transfert de gènes en ayant recours à la mutagenèse, c’est-à-dire en utilisant des techniques qui font directement "muter" le génome.
La plus ancienne de ces "nouvelles" méthodes consiste à soumettre les plantes à un stress chimique ou à des radiations qui vont provoquer des changements aléatoires de son ADN. "Les techniciens devaient ensuite rechercher quelles plantes avaient développé des caractéristiques intéressantes d’un point de vue agronomique", précise Christian Berdot.
Plus si aléatoire que ça
Lorsque la Commission européenne a adopté, en 2001, la directive pour réglementer les OGM, cette technique de mutagenèse était déjà utilisée depuis des décennies "sans impacts sanitaires ou environnementaux constatés, ce qui a poussé Bruxelles à l’exclure de l’application de la directive", précise ce spécialiste. En outre, ces mutations aléatoires reproduisent ce qui existe aussi dans la nature, et la mutagenèse peut ainsi apparaître comme plus "naturelle" que la transgenèse. Un argument souvent repris par la suite par les industriels du secteur agroalimentaire…
Conséquence de cette décision européenne : les organismes mutés en laboratoire n’ont pas été soumis aux règles de traçabilité, d’approbation et de contrôle imposées aux OGM transgéniques. C’est ainsi que des centaines de milliers d’hectares de colza ou tournesol résistants à certains herbicides grâce à la mutagenèse ont été cultivés en Europe. Les associations de défense de l’environnement ont rapidement dénoncé cette prolifération d’OGM "cachés".
Surtout, la mutagenèse a, elle aussi, muté depuis 2001. Les techniques permettent dorénavant de "diriger" la mutation. "La technologie Crispr-Cas9 permet ainsi depuis quelques années seulement d’insérer des informations supplémentaires très précises dans le génome de la plante afin d’obtenir la mutation souhaitée", explique Pierre-Henri Gouyon, biologiste et spécialiste de génétique au CNRS, contacté par France 24. Il s’agit de la même technique d’édition génétique qui a été utilisée en novembre 2018 lors d'une expérience très controversée menée par un scientifique chinois qui aurait créé les premiers bébés "génétiquement améliorés" pour résister au virus du sida.
Pour Pierre-Henri Gouyon, l’irruption de ces techniques change la donne. Il ne s’agit plus de "mutagenèse, qui implique un certain nombre de mutations aléatoires, mais bien de manipulations génétiques humaines", affirme-t-il. Mais les semenciers ont continué à tout mettre dans le même sac de la mutagenèse, ce qui leur a permis d’échapper aux contrôles européens.
Jusqu’en juillet 2018. La Cour de justice de l’Union européenne, saisie par la Confédération paysanne, a alors décidé que toutes les techniques de mutagenèse devaient être considérées comme des OGM, soumis aux règles de la directive de 2001. Un retournement de situation qui remet en cause de nombreuses plantations en Europe. Surtout, cet arrêt met la Commission européenne dans l’embarras puisque sa décision de 2017 de ne pas élaborer de protocole pour tester ces OGM de "nouvelle génération" apparaît comme très mal avisé.
Pourtant, lorsque Les Amis de la Terre ont voulu savoir si Bruxelles avait pris acte du jugement de la Cour de justice de l’Union européenne, rien n’avait encore bougé. Pour le plus grand bonheur des exportateurs canadiens et américains de colza et soja 2.0.