Le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, présente, jeudi, ses préconisations pour le futur "système universel" promis par le président français. À quoi faut-il s'attendre ? Voici les contours des principales mesures.
Le big bang des retraites en France se précise. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, dévoile jeudi 18 juillet ses préconisations pour le futur "système universel" promis par Emmanuel Macron. Après 18 mois de concertation, il doit répondre aux interrogations autour de l'âge de départ et présenter les contours du futur système censé remplacer les 42 régimes existants.
En présence de la ministre des Solidarités Agnès Buzyn, Jean-Paul Delevoye a reçu dès 8 h 30 les syndicats et le patronat, consultés depuis plus d'un an sur le sujet. Puis il rejoindra Matignon à 11 h 30 pour remettre son rapport au Premier ministre, Édouard Philippe, avant de revenir au ministère des Solidarités pour un point presse à la mi-journée.
Ses préconisations devraient servir de base au projet de loi, maintes fois repoussé et attendu en Conseil des ministres à l'automne, avant un examen au Parlement probablement après les municipales de mars, pour une entrée en vigueur en 2025.
Un système "plus juste et plus lisible"
On en connaît déjà les grands principes : "plus juste et plus lisible", le futur "système universel" à points restera "public et par répartition", un "euro cotisé" devant donner "les mêmes droits à tous".
Jean-Paul Delevoye a en outre proposé que le futur "système universel" comprenne un "âge d'équilibre" assorti d'un système de décote/surcote, à 64 ans pour la génération née en 1963. Pour inciter "au prolongement de l'activité" et garantir l'"équilibre du système" en place dès 2025, il préconise que "l'âge du taux plein" permettant une retraite complète "soit le même pour tous, contrairement à aujourd'hui où il est compris entre 62 et 67 ans en fonction de la durée travaillée". Cet âge "évoluera comme l'espérance de vie", précise Jean-Paul Delevoye dans les préconisations qu'il doit remettre en fin de matinée au Premier ministre Édouard Philippe.
Certaines spécificités devraient être maintenues : parmi les fonctionnaires de "catégorie active", les métiers "régaliens" (policiers, douaniers, pompiers, surveillants pénitentiaires) resteront autorisés à partir en retraite à 57, voire 52 ans, quand les aides-soignantes devraient rejoindre les règles du privé, avec un accès au "compte pénibilité" pour partir au mieux à 60 ans.
Jean-Paul Delevoye a également proposé de majorer les droits à la retraite de 5 % par enfant et dès le premier enfant, contre 10 % actuellement pour les parents de trois enfants et plus, dans son rapport rendu public jeudi. Cette majoration des points acquis pourra être partagée entre les deux parents, alors que la majoration actuelle est accordée aux deux parents. À défaut, elle sera attribuée à la mère, les femmes, qui "ont une pension moyenne inférieure de 42 % à celle des hommes", devant être "les principales bénéficiaires des mesures de solidarité liées aux droits familiaux".
Le haut-commissaire a également préconisé un minimum de retraite égal à 85 % du Smic net, contre 81 % pour les salariés et 75 % pour les agriculteurs actuellement, dans son rapport rendu public jeudi. Ce nouveau minimum "bénéficiera notamment aux exploitants agricoles, aux artisans, aux commerçants et aux personnes, souvent des femmes, qui ont durablement travaillé à temps partiel".
Une nouvelle répartition pour les personnes divorcées devrait également être annoncée. "Divorce pour solde de tout compte" pour répartir les droits du couple au moment de la séparation, pension de réversion garantissant un certain niveau de vie ou encore pensions majorées via une "bonification proportionnelle" dès le premier enfant sont également attendues.
Les pensions de réversion versées aux veuves et veufs dans le futur "système universel" devraient être garanties à hauteur de 70 % du total des retraites perçues par le couple. Il s'agirait de créer un "dispositif unique" pour tous qui remplacerait "les 13 règles différentes existant actuellement".
Quelques entorses…
Le gouvernement prévoit également l'instauration d'une "cotisation déplafonnée non créatrice de droits" pour les revenus au-delà de 10 000 euros par mois, en contradiction avec la promesse qu'"un euro cotisé donnera les mêmes droits à tous".
Autre entorse à ce principe, les indépendants, qui cotisent moins que les salariés, bénéficieront d'un "régime adapté" pour leur éviter un alignement brutal. Mais les avocats sont déjà vent debout contre une réforme qui "condamne à mort" l'accès au droit, selon le Conseil national des barreaux.
"Le Conseil national des barreaux refusera toute absorption dans le régime universel et remet en cause le principe même de la réforme qui condamnerait à mort l'indépendance financière de la profession", indique le Conseil qui précise qu'il appellera à "une mobilisation sans précédent et à une manifestation dès septembre" si ses demandes ne sont pas prises en compte.
Les avocats estiment être les plus menacés parmi les professions libérales : "Le doublement des cotisations retraite, de 14 à 28 % provoquera notamment une hausse exponentielle du taux de charges des avocats, passant ainsi de 46 à 60 %".
Les plus précaires pénalisés
FO et la CGT prévoient déjà de mobiliser en septembre contre une réforme qui pénalisera selon eux les plus précaires. La CFDT, la CFE-CGC et l'Unsa ne s'attendent pas à de grandes "surprises" jeudi.
Reste de nombreuses questions en suspens : comment seront calculées les futures pensions, comment seront conservés les droits acquis ? De nombreux points restent à préciser et notamment la question de l’âge relancée au printemps par un gouvernement soucieux d'inciter les Français à "travailler plus longtemps", estime Serge Lavagna, secrétaire national de la CFE-CGC.
L'exécutif a renoncé ces derniers jours à introduire dès 2020 des mesures d'économies (accélération du relèvement de la durée de cotisation pour le taux plein, décote...) allant en ce sens pour ne pas braquer la CFDT et parasiter la réforme.
Mais le haut-commissaire devra préciser comment il souhaite compenser la disparition dans le régime à points des notions de durée de cotisation et de taux plein, qui contribuent à repousser les départs.
Des économies à prévoir
Si cela passait par la fixation d'un "âge d'équilibre" au-delà de l'âge légal, comme évoqué mi-juin par Édouard Philippe, assorti d'un système de décote/surcote, la "confiance serait rompue", prévient Dominique Corona (Unsa), Jean-Paul Delevoye n'ayant jamais évoqué selon lui de "décote".
Sa "présentation pourra préfigurer de ce qui se passera dès 2021", pronostique Serge Lavagna. Car le gouvernement n'a pas définitivement renoncé aux économies. Alors que le déficit du système pourrait atteindre environ 10 milliards d'euros en 2022, selon le Conseil d'orientation des retraites, la future loi pourrait porter "l'engagement de livrer un système à l'équilibre en 2025", explique un connaisseur du dossier sans savoir "quelle forme cela prendra".
De nouvelles concertations sont d'ores et déjà prévues après la remise du rapport. Selon Serge Lavagna, "c'est une affaire longue".
Avec AFP