![Affaire Vincent Lambert : "Trop peu de Français ont rédigé leurs directives anticipées" Affaire Vincent Lambert : "Trop peu de Français ont rédigé leurs directives anticipées"](/data/posts/2022/07/24/1658674210_Affaire-Vincent-Lambert-Trop-peu-de-Francais-ont-redige-leurs-directives-anticipees.jpg)
Dans l'affaire Vincent Lambert, les directives anticipées auraient permis d’éviter plus de dix ans de bataille juridique. Mais selon Philippe Lohéac de l’ADMD, les Français ne sont pas suffisamment informés de leurs droits en matière de fin de vie.
Le médecin de Vincent Lambert a acté mardi 2 juillet un nouvel arrêt des traitements de son patient, ancien infirmier en état végétatif suite à un accident de voiture survenu en septembre 2018. Une décision qui devrait marquer l’épilogue d’une affaire devenue le symbole, en France, du débat sur la fin de vie et l'euthanasie.
Derrière ce débat, mené de front par l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) qui milite pour la légalisation de l’euthanasie, se dessine la question des directives anticipées, autour desquelles l’ADMD s'évertue à communiquer auprès des Français au cours de réunions organisées dans plusieurs villes de France, chaque année.
Prévues par la loi Leonetti de 2005, les directives anticipées représentent aujourd’hui la seule possibilité pour tout un chacun d’exprimer sa volonté quant aux soins médicaux qu’il souhaiterait ou refuserait de recevoir dans le cas où il serait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté.
Vincent Lambert, victime d’un accident de voiture qui l’a laissé tétraplégique avait, selon son épouse Rachel Lambert, pris position contre tout acharnement thérapeutique. N’ayant toutefois pas laissé de directives écrites, il s’est retrouvé au cœur d’une bataille familiale et judiciaire qui tient sinistrement le pays en haleine depuis lors.
Mais en aurait-il été autrement si le principal intéressé avait rédigé lesdites directives, théoriquement contraignantes pour le médecin ? France 24 a posé la question à Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD.
France 24 : La situation aurait-elle été différente si Vincent Lambert avait rédigé des directives anticipées ?
Philippe Lohéac : S’il les avait rédigées, et s’il avait désigné des personnes de confiance, les médecins qui ont fini par se forger une conviction au bout de plusieurs années auraient pu dire "nous pensons que Vincent Lambert est dans un état de survie qui ne nécessite plus qu’on le maintienne en vie, et on atteste notre décision par le fait qu’il a rédigé des directives anticipées".
Or, c’est précisément parce qu’il n’en a pas rédigé, et qu’il n’a pas identifié formellement de personne de confiance, que les médecins s’appuient sur un sentiment pour exécuter une décision susceptible de tout recours.
Dans tous les cas, il faut préciser que les directives anticipées ne permettent pas vraiment au patient de choisir quoi que ce soit, puisque le geste le plus actif qu’un médecin puisse avoir dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti de 2016, c’est la sédation [pratique de soin consistant à administrer à un malade incurable des médicaments atténuant sa souffrance physique et psychique]. Une sédation qui ne peut intervenir que dans les tous derniers jours de la vie.
Auparavant avec la loi de 2005, la sédation pouvait intervenir dès lors que le patient était atteint d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale et qu’il avait demandé un arrêt des traitements. Donc finalement, vous économisez 4 ou 5 jours d’agonie.
Même si elles sont rédigées, ces directives anticipées ne sont donc pas totalement contraignantes pour le médecin ?
Elles ne le sont pas du tout. Le médecin peut se sentir engagé par les directives anticipées, mais il n’existe aucune contrainte dans la loi pour les appliquer. La loi Claeys-Leonetti laisse seulement entendre que celles-ci sont susceptibles de produire un effet vis-à-vis des tiers.
De plus, il existe deux exceptions à l’application de ces directives anticipées, qui sont tellement subjectives que cela laisse une énorme palette de possibilités. La première exception est que ces directives anticipées ne seront pas appliquées par le médecin si elles lui paraissent "manifestement inappropriées".
Pire encore, deuxième exception : ces directives anticipées ne seront pas appliquées s’il y a "urgence vitale". Mais si vous êtes en fin de vie, il y a forcément urgence vitale. Là, c’est le serpent qui se mord la queue : celles-ci existent précisément pour gérer la question de la mort prochaine ; si l’on vous dit que l’on ne peut les appliquer parce que la mort est là, alors à quoi servent-elles ?
Cette affaire a-t-elle permis de sensibiliser les Français sur l’importance de faire connaître leur volonté ?
Il y a certainement eu une prise de conscience. Avec l’affaire Vincent Lambert, c’est un peu ‘l’achat d’impulsion’. Il y a un pic d’intérêt pour les directives anticipées qui retombera probablement, car cette histoire n’empêche personne de dormir.
Il doit y avoir une vraie démarche intellectuelle, de construction et de préservation des directives anticipées, qui nécessite le concours de l’État, qui malheureusement ne fait pas son travail. Depuis la création des directives anticipées en 2005, il n’y a eu qu’une campagne de publicité sur cette question par le ministère de la santé l’année dernière. Rien d’autre.
Lorsque la loi Claeys-Leonetti a été votée, il devait y avoir un décret d’application pour la création d’un fichier national afin que soient numérisées et archivées ces directives. Il n’a jamais été pris. Rien n’est fait par l’État pour sanctuariser dans l’esprit des Français ce document.
En France, 96 % des Français sont favorables à la légalisation de l’euthanasie, pourtant peu de Français ont rédigé leurs directives anticipées [86 % ne l'avaient pas fait en 2017 selon un sondage Ifop pour Alliance Vita]. Ceci est évidemment lié au manque de communication. Mais quand bien même elles existent, les Français savent que l’on ne peut obtenir par l’intermédiaire de ces directives que l’application de la loi actuelle qui, au plus actif de ce qu’elle propose, offre seulement la sédation dans les derniers jours de la vie.