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Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, a dévoilé, lundi, son plan contre les ruptures de stocks de médicaments dans l'Hexagone. Une initiative qui nécessite une plus grande coopération à l’échelle européenne et une responsabilisation des laboratoires.

Est-ce que le plan anti-pénurie de médicaments mis en place en France suffira face à l’urgence ? Un nouveau dispositif, qui comprend quatre grandes orientations, a en tout cas été dévoilé, lundi 8 juillet.

La ministre française de la Santé, Agnès Buzin, était pressée d'agir depuis des mois par les professionnels du milieu, alarmés du nombre croissant de ruptures de stock ou d’approvisionnement. Phénomène qui s'est multiplié par 20 en dix ans. Des pénuries qui concernent des médicaments voués au traitement de pathologies sévères, comme des cancers, des formes de schizophrénie ou encore des réactions allergiques violentes. Elles affectent également des vaccins, comme celui contre l’hépatite B, toujours difficile à se procurer.

Silence sur les laboratoires

La feuille de route établie par la ministre vise à renforcer plusieurs points : permettre à un malade de savoir à tout moment quel médicament est en rupture et combien de temps ; la possibilité pour un pharmacien de remplacer plus facilement un traitement indisponible par un autre ; harmoniser les réglementations au niveau européen afin qu’un traitement soit aisément acheminé n’importe où sur le Vieux Continent.

“Il n’y a rien de vraiment neuf ou révolutionnaire dans ces propositions qui reprennent des préconisations faites par le passé, notamment dans le rapport sénatorial sur la question [rendu public en octobre 2018, NDLR]”, note Nathalie Coutinet, enseignante chercheuse à l’université Paris-XIII et coauteure de “L’économie du médicament”, contactée par France 24. Elle souligne, notamment, que certaines préconisations sont déjà appliquées par les professionnels, comme la substitution en pharmacie d’un médicament en rupture par un autre. Et qu'il n’existe pas toujours d'alternatives à des traitements devenus introuvables.

Plus optimiste, Catherine Simonin, membre du bureau du réseau France Assos Santé, estime que ces orientations vont dans le bon sens car “elles vont faciliter certaines pratiques - comme la substitution - et elles répondent aux demandes des patients qui veulent plus de transparence sur les pénuries”.

Mais les deux expertes estiment que cela reste insuffisant. D’abord, parce que le plan reste silencieux sur la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques. “Il va falloir être très attentif car si les groupes pharmaceutiques qui ne jouent pas le jeu ne sont pas suffisamment sanctionnés, les mesures ne serviront à rien”, tranche Catherine Simonin. Le gouvernement s’est, en effet, donné le temps de la concertation avec tous les professionnels du secteur pour peaufiner son plan, dont la version finale doit être dévoilée en septembre.

Made in China ou India

Ensuite, parce qu’elles doutent de l’efficacité d’une réponse purement nationale à un problème mondial. “La source de la multiplication des cas de pénurie vient de la recherche d’une maximisation des profits par les groupes pharmaceutiques qui les a amenés à délocaliser la production du composant actif [la molécule à la base du médicament, NDLR]”, analyse Nathalie Coutinet. Plus de 60 % de ces composants essentiels aux médicaments sont fabriqués hors d’Europe, contre seulement 20 % il y a trente ans. Les laboratoires y trouvent leur compte : la main d’œuvre en Chine ou en Inde est moins chère, et les réglementations moins strictes, ce qui leur permet de réduire leurs coûts. Mais les malades en paient parfois le prix : lorsqu’un accident survient dans l’une de ces usines ou s’il y a un problème de conformité avec les règles sanitaires du pays où le médicament doit être commercialisé, c’est toute la chaîne de production qui s’en trouve affectée.

En outre, “le modèle économique de l’industrie pharmaceutique favorise l’innovation, ce qui veut dire qu’un nouveau médicament peut être vendu plus cher à condition que son prix baisse avec le temps. Mais, dans certains cas, au lieu de continuer à fabriquer un traitement lorsqu’il coûte moins cher, les laboratoires arrêtent tout simplement de le commercialiser”, résume Nathalie Coutinet. Cette approche a conduit à ce que “certaines molécules, notamment dans le traitement de cancers, ne sont plus produites alors qu’il n’y a pas d’alternatives”, précise Catherine Simonin.

Réponse européenne

Pour l’industrie pharmaceutique, la solution est simple : il suffit d'autoriser l'augmentation des prix pour rendre la commercialisation des médicaments vieillissants économiquement viables. C’est notamment ce que préconise le Leem, le syndicat français des entreprises pharmaceutiques, dans son rapport sur les réponses à la pénurie des médicaments. Mais pour Nathalie Coutinet, ce raisonnement est “fallacieux” : les laboratoires veulent avoir le beurre - faire payer l’innovation au prix fort - et l’argent du beurre, maintenir des tarifs élevés.

De plus, si les prix restent trop bas dans un pays, les laboratoires vont tout simplement fournir davantage de stock à d’autres États. Ceux à qui ils peuvent vendre leurs médicaments plus cher… quitte à entretenir la pénurie là où ils ne peuvent pas gagner suffisamment d’argent. Une situation de concurrence qui dessert la France “qui est plutôt dans le bas de la fourchette européenne”, note Claude Le Pen, économiste de la santé, interrogé par le mensuel Capital.

C’est pourquoi “l’idée avancée par Agnès Buzyn de renforcer la coopération à l’échelle européenne est peut-être la proposition la plus intéressante du plan anti-pénurie”, affirme Nathalie Coutinet. “Si les États peuvent s’aider mutuellement, au lieu de se mettre en concurrence, notamment en travaillant à harmoniser les règlementations ce serait une très bonne chose”, confirme Catherine Simonin.

Une plus grande coopération à l’échelle européenne pourrait aussi permettre de relocaliser en Europe une partie de la production de principes actifs pour les médicaments. Des incitations fiscales pourraient encourager les laboratoires à jouer le jeu, ou alors “on pourrait, comme aux États-Unis, créer une agence à but non lucratif qui fabriquerait des molécules de bases pour certains médicaments jugés particulièrement critiques”, avance Catherine Simonin.

Selon l'experte, la relocalisation en Europe “est un incontournable si on veut que la lutte contre les pénuries de médicaments fonctionnent”. C’est aussi un “enjeu de souveraineté européenne”, note Nathalie Coutinet. En effet, “au même titre que le pétrole, les terres rares ou l’uranium, les substances actives pharmaceutiques, et plus largement les médicaments, sont des ressources particulièrement convoitées. Il est primordial de conserver une autonomie à l’égard des puissances étrangères”, expliquait à Mediapart François Caire-Maurisier, pharmacien en chef commandant de la Pharmacie centrale des armées.

Encore faut-il que tous les pays européens soient sur la même longueur d'onde. Pour l'heure, à part la France, rares sont les pays à plaider aussi ostensiblement pour cette solution au sein de l'Union. L'Hexagone arrivera-t-il à convaince les autres ou fera-t-il cavalier seul ?