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Comment le Vietnam profite du conflit commercial sino-américain

Les exportations vietnamiennes vers les États-Unis sont en forte hausse depuis début 2019. Hanoï apparaît comme le principal bénéficiaire des sanctions douanières imposées par Washington aux produits chinois.

Make Vietnam, Taiwan, Corée du Sud et Bangladesh great again. L’offensive douanière des États-Unis contre la Chine fait les affaires commerciales d’autres pays asiatiques.

Le conflit commercial a certes entraîné une réduction de 12 % des importations américaines de produits chinois depuis le début de l’année, a annoncé le Département américain du Commerce, mercredi 3 juillet, mais les exportations taiwanaises vers les États-Unis ont augmenté de 23 %, tandis que celles du Bangladesh sont en hausse de 14 %, et les Américains ont acheté 12 % de plus de biens de Corée du Sud. Le principal gagnant de cette redistribution des cartes commerciales en Asie est le Vietnam. Ses exportations vers les États-Unis ont fait un bond de 36 % depuis le début de l’année.

Dans le collimateur de Donald Trump

Une réalité qui n’a pas échappé au président américain Donald Trump, qui avait espéré que le conflit commercial entraînerait une relocalisation de la production de certains produits chinois taxés (électroniques, textile etc.) aux États-Unis pour échapper aux droits de douane. Le Vietnam est même en passe de devenir sa nouvelle bête noire. Il l’a qualifié de “presque le pire de tous [les pays dans le collimateur de Donald Trump pour leurs pratiques commerciales, NDLR]”, en marge du dernier sommet du G20 au Japon, fin juin. Le président américain a d'ailleurs menacé de faire subir à Hanoï le même sort qu'à Pékin, en imposant des droits de douanes sur les importations vietnamiennes.

La récente “success story” économique vietnamienne tient essentiellement “à son profil productif qui est similaire à celui de la Chine”, explique le géant financier japonais Nomura dans une note publiée début juin sur les “bénéficiaires des tensions commerciales sino-américaines”. En d’autres termes, le Vietnam propose presque les mêmes produits que la Chine, à un tarif d’autant plus attractif que les droits de douanes américains ont rendu les alternatives chinoises plus onéreuses.

Le textile vietnamien est l’un des principaux bénéficiaires de l’appétit américain pour tout ce qui n’est pas chinois, souligne le Financial Times. Les produits électroniques sont l’autre secteur à profiter le plus du bras de fer entre Washington et Pékin : les exportations vietnamiennes de smartphones et composants pour téléphone vers les États-Unis ont ainsi doublé en un an.

Faux certificats d’origine

Et ce n’est pas qu’un effet d’aubaine, d’après les experts de Nomura. En réalité, la crise entre les deux superpuissances économiques mondiales n’a fait qu’accélérer une tendance à l’œuvre depuis près d’une décennie, rappelle le quotidien hongkongais South China Morning Post. Alors qu’en Chine, le coût de la main d’œuvre augmente régulièrement, le Vietnam constitue un nouvel eldorado pour les grands groupes en quête de bras bon marché. Mais il n’est pas le seul en Asie, puisque le Bangladesh, l’Indonésie ou encore la Malaisie ont aussi une main d’œuvre à bas coût. Mais le Vietnam dispose d’une infrastructure plus développée que ses concurrents directs, et d'une main d’œuvre mieux formée pour les besoins de géants comme Samsung (qui contribue à lui seul à plus d’un quart des exportations depuis le Vietnam), souligne le South China Morning Post. Résultat : un nombre croissant d’entreprises occidentales ont décidé de délocaliser leur production de Chine vers le Vietnam, ces dernières années. C’est donc tout naturellement que des grands groupes comme Home Depot, Zara ou encore Target ont décidé de développer leurs activités au Vietnam depuis le début des tensions entre Washington et Pékin, conclut le Financial Times. “À moyen-terme, le bénéfice commercial que le Vietnam tire de ce conflit pourrait se traduire par une hausse de 7 % du PIB”, pronostiquent les experts de Nomura.

Le boom des exportations vietnamiennes tient aussi en partie à une astuce utilisée par des entreprises chinoises pour contourner les sanctions américaines. Une partie des produits vietnamiens qui entrent sur le territoire américain sont en réalité “made in China” : ces biens sont fabriqués en Chine puis exportés au Vietnam où des agents des douanes peu regardant apposent le label “made in Vietnam”, rapporte le quotidien américain USA Today.

Difficile de quantifier l’ampleur de ce phénomène, mais les autorités vietnamiennes ont reconnu avoir identifié “des douzaines de certificats d’origine frauduleuse” depuis quelques mois, note le quotidien Hanoi Times. Les exportations chinoises vers le Vietnam ont connu une forte hausse depuis près d’un an, d’après les douanes vietnamiennes. Une partie, essentiellement du textile, des produits agricoles et de l’aluminium, est ensuite redirigée vers les États-Unis, assure le Hanoi Times.

Mais le gouvernement vietnamien semble déterminé à enrayer ce phénomène. Les autorités ont annoncé qu’elles allaient “redoubler d’efforts” pour traquer les contrevenants et imposer des amendes plus lourdes. Le Vietnam “n’a aucune envie que Donald Trump ajoute à sa liste de critiques contre Hanoi celle de servir d’intermédiaires à des entreprises chinoises pour déjouer les sanctions américaines”, a assuré à la chaîne Bloomberg Do Van Sinh, un membre du comité économique de l’Assemblée nationale vietnamienne.