
Lancé en Angleterre en 2018, ce mouvement écologiste radical et non-violent ne cesse de s’étendre en France comme dans le reste du monde. France 24 a pu interroger un de ses membres.
La scène a fait le tour des journaux télévisés et des réseaux sociaux. Des dizaines de membres du mouvement écologiste Extinction Rebellion (XR) tentant de bloquer le Pont de Sully à Paris, ont été violemment délogés, vendredi 28 juin, par des jets de gaz lacrymogènes de CRS. Les images abondamment partagées dans le week-end ont choqué et fait réagir l'opposition et jusque dans les rangs de la majorité. En parallèle, le parquet de Paris a ouvert, lundi, une enquête confiée à l'IGPN (la "police des polices") pour déterminer les modalités de cette intervention.
PARIS - Des militants pour le climat bloquent un pont dans la capitale pour alerter sur l’urgence climatique pic.twitter.com/IwvQicDaqV
Clément Lanot (@ClementLanot) June 28, 2019Benjamin, 33 ans, était en première ligne parmi ces bloqueurs, le 28 juin. S’il se félicite que les images aient pu choquer l’opinion publique, les revendications du collectif mériteraient tout autant d’être sous le feu des projecteurs, estime-t-il. "Tant mieux si beaucoup ont été touchés par ces images, maintenant il ne faut pas se détourner de l’urgence de notre combat", explique-t-il à France 24.
Car le temps presse pour lutter contre l'effondrement écologique, insiste ce mouvement créé en octobre 2018 au Royaume-Uni à l'initiative du groupe écologiste Rising Up!, et qui s’étend désormais des États-Unis jusqu’à la Nouvelle-Zélande, en passant par l'Allemagne et l'Australie. Une course contre la montre éprouvante comme le symbolise leur logo, un sablier coincé dans une sphère représentant la Terre.
Des débuts en France
Pour l’heure, la branche française du mouvement écologiste en est à ses balbutiements. Son lancement officiel remonte au 24 mars 2019 à Paris, où plusieurs centaines de militants s’étaient déclarés en rébellion, sur la place de la Bourse à Paris. Une mobilisation qui intervenait après la parution d’une tribune intitulée "Environnement : il y a urgence", publiée par le journal Libération, le 22 mars, et signée par plus de 600 personnes.
Leurs revendications s’articulent en quatre points : la reconnaissance par l’exécutif de la gravité de la crise écologique, la réduction des émissions de CO2 afin d’atteindre la neutralité carbone en 2025 [et non en 2050 comme le propose le gouvernement], l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes et enfin la création d’une assemblée citoyenne pour atteindre ces objectifs.
Un principe de "désobéissance civile"
Devant "l’inaction" des dirigeants politiques, Extinction Rebellion appelle à la "désobéissance civile", une forme de révolte théorisée par l’américain Henry David Thoreau au XIXe et appliquée au siècle suivant notamment par Gandhi en Inde, Martin Luther King aux États-Unis ou encore Nelson Mandela en Afrique du Sud.
Illégale par définition puiqu'elle refuse de se soumettre à la loi ou à un réglement, cette pratique reste en principe non violente. De nombreuses associations oeuvrant dans la lutte écologique ou sociale, à l’image de Greenpeace ou du Droit au logement (DAL), ont déjà employé cette forme de résistance pacifiste.
À son tour, Extinction Rebellion revendique des "actions radicales mais non violentes". Certaines ont déjà connu un certain retentissement, à l’image du spectaculaire déversement de faux sang au Trocadéro, le 12 mai 2019. Ce jour-là, 300 litres de colorant alimentaire avaient inondé les marches de la très chic esplanade qui surplombe la tour Eiffel, sous les regards médusés des touristes et des policiers.
PARIS - Action des militants écologistes @XtinctionRebel :
- Le #Trocadero a été recouvert de faux sang
- Ils veulent alerter sur la 6eme extinction de masse
- Intervention rapide de la police pic.twitter.com/tFompmVSw5
"Les actions gentillettes ne paient pas"
Un mois auparavant, les militants avaient procédé à des blocages à Londres, perturbant Oxford Circus, Waterloo Bridge et Parliament Square. Après quatre jours de perturbations, la police avait fait état de 428 arrestations. Des actions qui avaient finalement poussé le Parlement britannique à déclarer "l'état d'urgence écologique et climatique".
"Nous n’avons plus le temps pour les marches symboliques ou les pétitions à répétition. On l’a vu dans le passé, ce n’est pas de cette manière qu’on va faire bouger les lignes. Les actions gentillettes ne paient pas", juge Benjamin qui a derrière lui, plusieurs années de militantisme écologique. Le constat amer du jeune homme n’est pas un cas isolé. Pour François Gemenne, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université de Liège et à Sciences po Paris, interrogé par L’Express, il est effectivement "difficile de ne pas voir dans l’émergence des mouvements comme Extinction Rebellion, l’échec des mobilisations précédentes".
Pas de porte-parole, ni de leader
La démission de Nicolas Hulot à la rentrée 2018 qui avait reconnu l’insuffisance de l’action gouvernementale a pu en alerter certains également, selon Benjamin : "Son départ montre que même si on est engagé dans le combat écologique, on ne peut agir dans une structure politique traditionnelle".
De ce fait, le mouvement privilégie un fonctionnement décentralisé et horizontal. "Nous sommes dans une logique moins institutionnelle. Nous n’avons pas de porte-parole, encore moins de leader", assure le trentenaire. Pour le reste, l’organisation s’établit de façon locale et en groupes. "Les discussions se font par thème sur une plateforme en ligne et chacun peut y proposer une action, à condition qu’elle corresponde à nos principes".
Six mille inscrits en France
Un système qui semble séduire. Pour l'heure, l’association revendique sa présence dans 58 pays, avec déjà plus de 6 000 inscrits en France. "Un chiffre qui ne fait que grossir depuis la dispersion du sit-in, vendredi", souligne Benjamin.
Parmi les nouveaux militants figurent des "gens n’ayant jamais milité", mais aussi "énormément de femmes" et de "jeunes dans la vingtaine". Preuve que la jeunesse, portée par le charisme et la détermination de la suédoise Greta Thunberg, risque de descendre de nouvelles fois dans la rue pour défendre l'avenir de sa planète. Pour l'heure, Extinction Rebellion a déjà inscrit dans son agenda de nouvelles actions, dans les semaines à venir, à Paris, comme dans toute la France.