Ankara a menacé, dimanche, le maréchal Haftar de riposte après l’avoir accusé de détenir six Turcs en Libye, depuis libérés. Un regain de tensions qui peut s’expliquer notamment par la défaite des forces pro-Haftar à Gharian, au sud-ouest de Tripoli.
Les tensions se font vives depuis plusieurs jours entre le maréchal Haftar et la Turquie. Après que le commandant en chef de l’Armée nationale libyenne (ANL) – déployée à l'est du pays – a accusé Ankara de soutenir militairement ses rivaux du Gouvernement d'union nationale (GNU), la Turquie a en retour menacé les forces d’Haftar d’une riposte, le 30 juin, après les avoir accusées de détenir six Turcs en Libye.
Cette passe d'armes fait suite à une victoire stratégique remportée par le GNU, qui a repris le 26 juin la ville de Gharian (au sud-ouest de Tripoli) – jusqu’alors aux mains de l’ANL qui a lancé, début avril, une offensive majeure contre la capitale libyenne. “La perte de cette ville pour le maréchal Haftar a été une défaite humiliante et extrêmement surprenante pour lui”, explique Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye, contacté par France 24. Cela a été un moment de perte de contrôle pour (son) armée qui est censée être puissante et mettre en œuvre une solution militaire en Libye”.
La défaite subie à Gharian est la conséquence d’une situation qui a tourné en la défaveur du maréchal Haftar ces dernières semaines. Et la Turquie ne semble pas étrangère à cette défaite stratégique de l’ANL. Son président, Recep Tayyip Erdogan avait d'ailleurs reconnu que son pays avait fourni des armes au GNU afin de "rééquilibrer" la situation face aux forces de l’ANL, soutenues par les Émirats arabes unis et l'Égypte.
“La Turquie a notamment fourni quatre drones armés, qui ont été installés en Tripolitaine (région dans l’ouest de la Libye, NDLR) et qui ont été utilisés de manière efficace, avec des frappes aériennes de nuit très précises contre des véhicules de l’armée du maréchal Haftar”, explique Jalel Harchaoui. Cela a eu pour conséquence de “détourner l’attention” du commandant en chef de l’ANL, qui s’est concentré sur d’autres batailles au détriment de la ville de Gharian. Selon le spécialiste de la Libye, “il a été complètement distrait par la réussite de la prouesse technique et militaire de la Turquie.”
Des missiles américains en Libye
Dans leur fuite précipitée de Gharian, qui leur servait de base arrière pour le commandement et les munitions, les forces du maréchal Haftar ont laissé des armements, dont des missiles antichars Javelin... de fabrication américaine. Des responsables du gouvernement de Fayez Sarraj (GNU) ont présenté le 29 juin ces armes à la presse, sur lesquels les inscriptions indiquent qu'elles appartenaient à l'origine à l'armée des Émirats arabes unis. Or ces derniers “n’ont pas le droit de transmettre ces armes à une tierce entité. Et là ils se sont retrouvés pris en flagrant délit”, explique Jalel Harchaoui.
Cette découverte d'armes américaines a pour conséquence d’affaiblir le maréchal Haftar, dont l’option de reprendre Tripoli par la force semblait avoir la faveur d’États impliqués directement dans la situation en Libye (États-Unis, France, Émirats arabes unis) il y a plusieurs mois. Selon le spécialiste de la Libye, à cause de ces armes américaines retrouvées à Gharian, "au moment de la perte (de la ville), au lieu d’avoir la sympathie de Donald Trump, d’Emmanuel Macron ou des Émirats arabes unis comme au mois d’avril, ces dirigeants sont beaucoup plus distraits à l’encontre du maréchal Haftar.”
Le maréchal Haftar “tout seul” ?
Le revers militiaire majeur subi à Gharian et les implications qu’il peut avoir pour les soutiens du maréchal Haftar pourraient expliquer l'arrestation des six ressortissants turcs, selon l'expert. Cependant, cet incident n'est pas de nature à envenimer la situation avec Ankara. “C’est plus une question de symbole et de gestion d’image de la part du maréchal Haftar”, selon Jalel Harchaoui.
Ces six personnes, présentées comme des “marins”, ont finalement été libérées, a annoncé le 1er juillet le ministère turc des Affaires étrangères. Un premier pas de nature à enclencher une désescalade verbale entre les différents protagonistes, sans pour autant arranger la situation du maréchal Haftar. “Il a des soucis et ses parrains – l’Égypte, les Émirats arabes unis, la France et dans une moindre mesure l’Arabie saoudite – sont pour le moment silencieux”, observe Jalel Harchaoui. ”Ils le laissent se dépatouiller tout seul, ce qui est très nouveau.”
Avec AFP et Reuters