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Double attentat de Tunis : "Certaines personnes ne veulent pas d’une Tunisie stable"

Après le double attentat perpétré à Tunis contre les forces de l’ordre jeudi, les Tunisois tentent de ne pas céder à la peur et aux divisions qui pourraient mettre à mal le processus démocratique dans lequel le pays est engagé.

Il est 8 h 30 vendredi 28 juin sur l’avenue Bourguiba, dans le centre de Tunis. Une grappe de véhicules de police aux vitres grillagées sortent de l’allée piétonne centrale où ils stationnaient depuis plusieurs heures. La voie à peine libérée, un agent d’entretien passe, comme chaque jour, un jet d’eau sur le bitume. Comme s’il fallait que la vie reprenne rapidement son cours.

Assis à la terrasse du café Le Parnasse, de jeunes gens en chemise bavardent. "L’attentat a eu lieu à 100 mètres, mais on est là. On n’a pas peur", lâche l’un d’eux.

La veille, en fin de matinée, un individu encore non identifié s’est fait exploser près d'une voiture de police garée à l'intersection de l'avenue Bourguiba et de la très fréquentée rue Charles-de-Gaulle. Un agent de police nommé Mehdi Zammali a succombé à ses blessures quelques minutes après l’attaque. Un autre policier et trois civils ont été blessés.

Une dizaine de minutes plus tard, c’est à la périphérie de la capitale tunisienne, dans le parking du siège des services de la Brigade antiterroriste (BAT), qu’un deuxième individu, lui aussi non identifié, s’est fait exploser, faisant quatre blessés parmi les policiers. Quelques heures plus tard, l’organisation État islamique (EI) revendiquait le double attentat.

"Ils ont attaqué la Tunisie au cœur, mais je n'ai pas peur"

"J’étais chez moi quand j’ai entendu parler des explosions", raconte Makram. Familier du centre de la capitale – où il officie en tant que vendeur ambulant de jouets à l’effigie de Mickey et Minnie –, le jeune homme de 32 ans refuse de céder à la psychose. "En s’en prenant à la capitale en ce début de saison touristique, ils ont attaqué la Tunisie au cœur. C’est grave, mais je n’ai pas peur. Le terrorisme, ça touche tout le monde, même les pays puissants, comme les États-Unis ou la France", affirme-t-il.

Plus loin, attablée à l’un des nombreux cafés qui longent l’avenue Bourguiba, Nadia et Wafa font comme si ce lendemain d’attentats était un jour normal. "Nous sommes tristes pour notre pays, mais nous n’avons pas peur", lancent-elles en écho à Makram. Les deux sœurs sont commerçantes et, comme chaque jour après leur café, elles se rendront à leur magasin : "Nous, le peuple tunisien, nous voulons juste travailler, vivre et nous amuser."

Malgré les attaques, les Tunisiens veulent poursuivre la démocratisation

Après la révolution de 2011 ayant mené à la chute du régime de Zine el Abidine Ben Ali , la Tunisie a fait face à un essor de la mouvance jihadiste. En 2015, le pays a connu une vague d’attentats sans précédent responsables de la mort de soldats et de policiers, mais aussi de nombreux civils et touristes étrangers. Comme au musée du Bardo (22 morts) ou sur la plage de Sousse (38 morts).

Aujourd’hui plus stable sur le plan sécuritaire, la Tunisie poursuit cahin-caha un processus de démocratisation qui fait figure d’exception parmi les autres pays arabes touchés par les révolutions de 2011. Aussi Nadia et Wafa voient-elles l’avenir positivement. "Il faut du temps pour le changement. Même la Révolution française a pris du temps. On voudrait bien, par exemple, que ce soit une femme qui dirige le pays."

Un nouveau président et une nouvelle Assemblée

En octobre, les Tunisiens doivent aller aux urnes pour élire une nouvelle Assemblée nationale. Quelques semaines plus tard, c’est un nouveau président qu’ils devront désigner.

Hospitalisé après avoir fait un "grave malaise" survenu concomitamment aux attentats, l’actuel chef de l’État, Béji Caïd Essebsi, a depuis longtemps fait savoir qu’il ne se représentera pas. À l’automne, le pays devrait donc connaître son deuxième président élu au suffrage universel depuis la chute du régime Ben Ali. "Mais il y a des gens qui ne veulent pas d’une Tunisie stable, ils n’aiment pas notre pays, ils n’aiment pas les élections", réagissent les deux commerçantes qui émettent quelques doutes sur la nature jihadiste du double attentat de jeudi.

De fait, les deux attaques menées contre les forces de l’ordre alimentent, dans les rues de Tunis, quelques théories sans grand fondement. Certains y voient la main "de gens du système opposés à la démocratie", d’autres un règlement de comptes contre une police jugée trop intimidante.

Mais comme à chaque attaque-kamikaze, comme ce fut le cas en octobre 2018 sur l’avenue Bourguiba, l’ensemble de la société tunisienne semble vouloir résister au piège des divisions et haines recuites. À l’instar de la presse qui, ce vendredi matin, couvrait l’événement en titrant "la Tunisie reste debout et solidaire" ou encore "le jeudi noir a uni les Tunisiens".

Forte émotion lors de l'enterrement du policier tué

Une population unie, à l’image de celle de Sidi Hassine qui, ce vendredi, pleure l’un de siens. C’est dans cette petite ville à 15 minutes de route de Tunis que Mehdi Zammali, le policier tué par le kamikaze, est enterré. Des centaines de personnes, habitants et policiers, sont venus assister aux funérailles. Le ministre de l’Intérieur, Hichem Fourati, a également fait le déplacement.

Postée près du cimetière avec des amis, Nabila dit être venue de l’autre côté de la ville pour exprimer sa solidarité avec les forces de l’ordre : "Je suis avec la police, car elle veille sur notre pays. Mon fils est policier et j’ai peur pour lui".

À quelques mètres, Amal, elle, ne veut rien céder à la psychose. "Malgré la tristesse, notre moral reste au top car nous ne craignons pas le terrorisme, assure-t-elle. Je me marie la semaine prochaine et je n’ai pas peur." En réalité, pour la jeune femme, la menace jihadiste pèse moins lourd, au quotidien, que les difficiles réalités économiques et sociales d’une ville populaire de la périphérie de Tunis.

"Le policier qui est mort faisait son travail. Les forces de l’ordre font face au terrorisme et à la violence dans des conditions difficiles, sans être vraiment protégées, déplore-t-elle. Ce sont souvent des jeunes qui viennent de communes comme Sidi Hassine qui meurent dans les attentats. J’espère qu’il sera le dernier martyr."