Au pouvoir jusqu’en 2017, l’ex-chef d’État gambien Yahya Jammeh est accusé par deux ONG d’avoir organisé un système de harcèlement sexuel de femmes à son service. Plusieurs cas de viols sont rapportés par ces ONG, dont celui d'une ex-Miss Gambie.
Des viols commis sous l’enceinte du palais présidentiel, de jeunes employées retenues captives, des pressions morales et financières sur les familles … Après dix-huit-mois d’enquête, les ONG Human Rights Watch et TRIAL international ont publié mercredi 26 juin un rapport accablant sur les violences sexuelles perpétrées par l’ex-président Yahya Jammeh au pouvoir entre 1994 et 2017 en Gambie.
D’après l’organisation de défense des droits de l’homme HRW, qui a recueilli les témoignages d’au moins trois victimes et de plusieurs proches de l’ancien dirigeant, le despote avait organisé tout un système de recrutement de jeunes filles corvéables à merci.
Interdit de sortir et d’avoir un petit ami
Surnommées les "protocol girls", celles-ci étaient repérées par l’ancien président en personne lors de ses déplacements et contactées par sa garde rapprochée et sa cousine Jimbee Jammeh, impliquée dans l’affaire. "Parfois elles étaient chargées de fonctions officielles, comme servir à boire, dactylographier des documents ou préparer des réunions, mais leur véritable rôle consistait à être à disposition du président pour coucher avec lui", indique le rapport de HRW. Ces jeunes femmes "n’avaient pas le droit de quitter les lieux sans autorisation et étaient dissuadées d’avoir un petit ami", précise l’ONG.
Celles qui refusaient ses avances prenaient le risque de violentes représailles. Ce fut le cas d’une ancienne Miss Gambie, Fatou Jallow, qui a dû s’exiler au Sénégal, après avoir croisé la route de Yahya Jammeh.
Une ex-Miss Gambie giflée, droguée, violée
En 2014, Fatou Jallow a 18 ans lorsqu’elle remporte le concours national de beauté diffusé en direct à la télévision gambienne. "Jammeh en faisait l’éloge, le décrivant comme un moyen pour les filles de ‘prendre leur vie en main’", décrit HRW. Dans les mois qui suivent, le président l’invite au palais et lui propose de devenir "protocol girls", puis lui demande sa main. La jeune fille refuse à chaque fois.
[VIDÉO] #Gambie - L’ex-président #Jammeh accusé de #viol : le témoignage accablant de l'ex-reine de beauté gambienne Toufah Jallow. S/titres FR. https://t.co/urN2oiKZJP Plus d’infos >> https://t.co/WjQ2NbTxzV @hrw @Trial #Jammeh2Justice pic.twitter.com/tX4AuBXBRK
HRW en français (@hrw_fr) 26 juin 2019Près d’un an plus tard, Yahya Jammeh la convoque de nouveau au palais présidentiel "sous prétexte d’assister à une récitation du Coran marquant le début du Ramadan". "Il m’a dit : ‘Aucune femme ne m’a jamais rejeté. Alors toi, tu te prends pour qui ?’", raconte Fatou Jallow dans le rapport de HRW.
"Son visage avait changé, ses yeux étaient injectés de sang, il était très différent de l’homme qu’il avait été auparavant" poursuit-elle. D’après la jeune femme, l’ex-chef d’État la gifle ensuite à plusieurs reprises, avant de lui injecter une seringue dont elle ignore le contenu. Puis, il l’empêche de quitter la pièce, la menace de mort, soulève sa robe et la viole.
La difficulté de témoigner des violences sexuelles en Gambie
Aujourd’hui, l’ex-reine de beauté Fatou Jallow appelle les autres victimes à raconter les abus de l’ancien homme fort de Gambie. Elle sera entendue prochainement à Banjul par la Commission vérité et réconciliation, qui enquête sur les crimes présumés du régime Jammeh. L’institution prévoit d'organiser des auditions consacrées aux violences sexuelles dans les prochains mois.
"Ces femmes ont un courage immense et ont brisé la culture du silence. Il est important que la Commission vérité et réconciliation et le gouvernement leur offrent la possibilité d'obtenir réparation et justice", considère Marion Volkmann-Brandau, principale enquêteuse ayant travaillé sur ce projet pour HRW.
D’autant que les témoignages des victimes sont durs à recueillir, estime Fatou Baldeh, présidente d'une association féministe. Interviewée par RFI, la militante explique s’être entretenue avec des femmes "abusées sexuellement par des hommes très puissants sous Jammeh".
Pour celles qui acceptent de témoigner publiquement du viol qu'elles ont subi, "les conséquences peuvent être très graves". "Il y a un grand de nombre de facteurs qui expliquent le silence des victimes", explique Fatou Baldeh. "Ces femmes peuvent être discriminées, abusées. Elles peuvent être contraintes de divorcer ou être rejetées par leur famille".
Que risque Yahya Jammeh ?
"Yahya Jammeh a traité les femmes gambiennes comme ses choses", estime l’avocat de Human Rights Watch, Reed Brody. "Le viol et l'agression sexuelle sont des crimes, Jammeh n'est pas au-dessus des lois".
Yahya Jammeh qui a dirigé d'une main de fer la Gambie pendant 22 ans s’est réfugié en Guinée équatoriale à sa chute, le 21 janvier 2017. Interrogé début 2018 sur une éventuelle demande d'extradition de Yahya Jammeh, son successeur Adama Barrow, qui l'avait battu à la présidentielle de décembre 2016, a indiqué qu'il attendrait la fin des travaux de la Commission vérité et réconciliation pour se prononcer.
Avec AFP