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Le Sea-Watch toujours bloqué face à Lampedusa

Après avoir forcé le blocus italien, le Sea-Watch était toujours à l’arrêt jeudi en face du port de l’île de Lampedusa. Avec 42 migrants à bord bloqués, le navire poursuit son bras de fer avec Rome.

Le navire humanitaire Sea-Watch était toujours à l'arrêt jeudi en face du port de l'île de Lampedusa, après avoir forcé mercredi le blocus italien. Le bateau tente de débarquer, alors que le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, continue à refuser son entrée au bateau et aux 42 migrants bloqués à bord depuis 14 jours. Jeudi 27 juin, d'autres migrants débarquaient et un navire humanitaire espagnol reprenait la mer.

"Nous avons attendu une nuit, nous ne pouvons pas attendre plus. On ne peut pas jouer avec le désespoir de personnes dans le besoin", a écrit l'ONG Sea-Watch jeudi matin en réclamant une solution pour les migrants bloqués à bord.

La capitaine allemande du navire humanitaire Sea-Watch, Carola Rackete, 31 ans, avait forcé mercredi le blocus des eaux territoriales italiennes pour tenter de débarquer les migrants. Et ce, au grand dam du ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini.

"L'Europe nous a abandonnés"

"J'ai décidé d'entrer dans le port de Lampedusa. Je sais ce que je risque, mais les 42 naufragés à bord sont épuisés. Je les emmène en lieu sûr", avait déclaré sur Twitter Carola Rackete, engageant ainsi un bras de fer avec le ministre populiste italien.

Update from our captain #CarolaRackete on the bridge of #SeaWatch3.#IoStoConCarola #fateliscendere pic.twitter.com/Y7F0dAKeR2

  Sea-Watch International (@seawatch_intl) 26 juin 2019

"En quatorze jours, aucune solution politique ou juridique n'a été possible, l'Europe nous a abandonnés", a ajouté Sea-Watch.

Mais le ministre italien de l'Intérieur, Matteo Salvini, s'oppose fermement à tout débarquement des migrants, à moins qu'ils ne soient immédiatement transférés aux Pays-Bas, pays dont le navire bat pavillon, ou en Allemagne, pays de l'ONG Sea-Watch.

À Bruxelles, le commissaire européen chargé des Migrations, Dimitris Avramopoulos, a affirmé que plusieurs pays européens étaient prêts à participer à une répartition de ces migrants mais qu'une solution ne serait possible "qu'une fois les personnes débarquées".

Pour accentuer la pression, M. Salvini a menacé que l'Italie n'identifie plus les migrants à leur arrivée, afin de les laisser gagner plus facilement le reste de l'Europe. La Commission européenne a répliqué en menaçant Rome d'une nouvelle procédure d'infraction.

Dans son communiqué, M. Avramopoulos a aussi appelé les secouristes à respecter les consignes des autorités de coordination.

Après avoir longtemps navigué le long de la ligne des eaux territoriales italiennes, le bateau l'a franchie mercredi à la mi-journée et s'est arrêté en milieu d'après-midi en face du port de l'île. Dans une vidéo diffusée en fin d'après-midi, la jeune capitaine a expliqué que les autorités italiennes étaient montées à bord pour contrôler les papiers du navire et les passeports de l'équipage.

Carola Rackete, une "emmerdeuse" pour Matteo Salvini

"Personne ne débarque à moins que quelqu'un ne s'occupe de les emmener à Amsterdam, à Berlin ou à Bruxelles. J'en ai plein le cul ! ["Mi sono rotto le palle che l'Italia sia trattata dagli organismi internazionali e da alcuni Stati come un Paese di serie B", soit littéralement en français : "Ça me casse les c*** que l'Italie soit traitée par les organismes internationaux et par certains États comme un pays de deuxième division"]", a rugi Matteo Salvini dans une vidéo sur Facebook.

"Ceux qui se foutent des règles doivent en répondre, je le dis aussi à cette emmerdeuse de capitaine du Sea-Watch, qui fait de la politique sur la peau des immigrés, payée par on-ne-sait-qui."

Dans la soirée, il s'est encore emporté : "Qu'est-ce qu'ils attendent pour émettre un mandat d'arrêt ?", alors que le navire était bloqué depuis l'après-midi en face du petit port de Lampedusa.

Même s'ils assurent avoir appliqué le droit maritime et international, Carola Rackete et les responsables de Sea-Watch 3 risquent désormais des poursuites pour aide à l'immigration clandestine, ainsi que la saisie du bateau et une amende de 50 000 euros, conformément au récent "décret sécurité bis" de Matteo Salvini.

"Je suis prête à aller en prison pour cela"

Des mesures que la capitaine du navire semble prête à affronter. "Je suis prête à aller en prison pour cela", a-t-elle déclaré mercredi, affirmant s'en tenir au droit maritime. "J'espère que dans les prochaines heures, il y aura un juge pour affirmer qu'il y a des hors-la-loi à bord de ce bateau, à commencer par la capitaine", a insisté M. Salvini jeudi matin à la radio.

Les 42 migrants du Sea-Watch ont été secourus dans la zone de responsabilité de la Libye, qui a proposé de les débarquer à Tripoli. Mais l'ONG, appuyée par l'ONU, estime que leur sécurité n'est pas garantie dans le chaos libyen.

Appel aux dons lancé

Un appel aux dons a été lancé mercredi sur Facebook pour payer les frais de justice de l'ONG. Jeudi en milieu de journée, il avait déjà récolté plus de 130 000 euros.

Et pendant que les migrants patientent sur le Sea-Watch, les arrivées se poursuivent : 34 migrants ont été interceptés mercredi soir par une vedette de la police italienne et conduits en Sicile. Dix autres sont arrivés jeudi à l'aube à bord d'une petite barque vraisemblablement partie de Tunisie, qui est passée non loin du Sea-Watch et a pénétré dans le port.

Car si la fermeté du ministre italien a accentué la chute des arrivées entamée sous l'ancien gouvernement de centre gauche, elle n'y a cependant pas mis fin : selon les statistiques de son ministère, plus de 400 migrants ont débarqué en Italie ces deux dernières semaines, dont beaucoup arrivés sur des petites barques à Lampedusa.

Mardi, la Cour européenne des droits de l'Homme, saisie par l'ONG allemande, avait refusé d'intervenir en urgence, demandant cependant à l'Italie de "continuer de fournir toute assistance nécessaire [aux personnes vulnérables à bord]".

11 personnes vulnérables acceptées

Sur les 53 migrants secourus le 12 juin par le Sea-Watch 3 au large de la Libye, l'Italie a déjà accepté le débarquement de 11 personnes vulnérables (enfants, femmes, malades…).

À terre, des dizaines de villes allemandes se sont dites prêtes à accueillir les migrants, et l'évêque de Turin (nord de l'Italie), Cesare Noviglia, a annoncé lundi que son diocèse proposait de les prendre en charge.

Le curé de Lampedusa, Carmelo La Magra, campait depuis plusieurs jours sur le parvis de son église pour réclamer le débarquement des migrants. Lors des élections européennes de mai, la Ligue de Matteo Salvini (extrême droite) a cependant obtenu 45 % des voix sur l'île.

Depuis l'arrivée du gouvernement populiste au pouvoir en Italie en juin 2018, les crises se sont succédé autour de migrants bloqués à bord des navires qui les avaient secourus jusqu'à ce qu'un accord de répartition entre plusieurs pays européens ne leur permette de débarquer.

En janvier, 32 migrants secourus par le Sea-Watch 3 étaient restés bloqués 18 jours à bord avant de pouvoir débarquer à Malte.

"Pas le choix"

"C'est grave que la capitaine n'ait pas d'autre choix que d'honorer son sens des responsabilités au prix de conséquences personnelles", a réagi Carlotta Sami, porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés (HCR) en Italie.

"Le HCR demande une révision du décret sécurité bis et l'organisation d'un système de sauvetage et de débarquement. Il faut que la criminalisation des ONG cesse", a-t-elle ajouté, alors que les organisations internationales ont répété ces derniers jours qu'il n'était pas possible de renvoyer les migrants dans le chaos libyen.

Avec AFP