La production de miel s'annonce "catastrophique" en France cette année, notamment à cause des dérèglements climatiques observés ces derniers mois par les apiculteurs. Une situation qui pourrait, à terme, menacer l'existence même des abeilles.
L'inquiétude est de rigueur chez les apiculteurs à la moitié de l'année 2019. Henri Clément, porte-parole et secrétaire-général du syndicat majoritaire, l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf), explique qu'à ce stade, habituellement, "on a fait une bonne partie des miels, autour de 40, 50 %. Là, on ne les a pas". Il a accepté de répondre aux questions de France 24 pour expliquer les raisons qui conduisent à cette situation "catastrophique", selon lui.
France 24 : Pourquoi la production de miel s'annonce-t-elle "catastrophique" cette année ?
Henri Clément : Cela partait bien, car on a eu un hiver très doux. Puis le printemps a été catastrophique pour plusieurs raisons : d'abord la sécheresse, ensuite de longues périodes de vent du Nord, ensuite des gelées tardives – donc des périodes de froid – et maintenant, on nous annonce une canicule. À cause de ces conditions, on a raté les miellées de printemps (en avril-mai). Les abeilles ont eu de la peine à trouver de quoi se nourrir, il a fallu parfois que les apiculteurs compensent ce manque de miel (en les nourrissant avec du sirop, selon le syndicat agricole Modef, NDLR). Aujourd'hui, la saison n'est pas terminée, mais il y a une grande partie des miels qui n'ont pas été récoltés.
Quelle différence de production y a-t-il par rapport aux années précédentes ?
L'année 2018 avait été relativement bonne puisqu'on avait produit autour de 18 000 - 20 000 tonnes de miel. Il faut dire que le printemps avait été favorable : il y avait eu du colza, de l'acacia, du tournesol, du châtaignier… Là, pour l'instant, on n'a pas fait grand chose et on a toutes les inquiétudes sur ce qu'il va se passer maintenant (les récoltes de miel sur les trois quarts du territoire français ont été quasiment nulles pour le moment, excepté en Bretagne, NDLR).
À quoi cette baisse de production est-elle due ?
On voit bien aujourd'hui que le bouleversement climatique est catastrophique pour la production de miel, c'est le plus grand souci pour les apiculteurs. Cela fait un moment que l'on tire la sonnette d'alarme à ce sujet. Par exemple, les vents du Nord – de plus en plus fréquents – assèchent les fleurs, donc elles ne produisent pas de nectar et, ensuite, les abeilles pas de miel. Et là on nous annonce une canicule à 38-39 °C : cela va aussi brûler les fleurs et il n'y aura pas de nectar. On est extrêmement inquiets et on ne sait pas comment on va pouvoir régler cette situation.
Comment le "bouleversement climatique" influence-t-il les abeilles au quotidien ?
L'impact le plus visible, c'est la production de miel. Comme expliqué, dans certaines conditions climatiques, les fleurs ne peuvent pas produire le nectar et les abeilles ne peuvent pas le récolter pour en faire du miel. L'autre impact, c'est sur la période septembre-octobre. Auparavant, on avait des moments où il pleuvait, où la nature reverdissait, et donc il y avait des fleurs. Cette période est importante parce que c'est à ce moment-là que la reine pond les abeilles qui vont permettre un bon hivernage. S'il y a sécheresse – comme cette année, comme en 2018 et de plus en plus souvent – et s'il n'y a pas ces pluies, la reine pond moins. Et on a des difficultés à renouveler les générations d'abeilles pour passer l'hiver.
Cela menace-t-il à terme l'existence des abeilles ?
La situation est particulièrement préoccupante : on a un taux de mortalité des abeilles qui est passé de 5 % par an, dans les années 1990, à près de 30 % par an (durant l'hiver 2017-2018, NDLR), ce qui est énorme. On a par ailleurs des reines qui vivent beaucoup moins longtemps, un problème de fécondité des mâles. Il y a toutes les inquiétudes à avoir sur la sauvegarde des abeilles. Il ne faut pas oublier qu'avec elles, il y a les insectes pollinisateurs eux aussi en déclin. La situation est vraiment catastrophique, et il faut que les pouvoirs publics s'en préoccupent. Les abeilles, c'est bien sûr le miel, un patrimoine culturel, mais c'est aussi la pollinisation. Et 35 % de nos ressources alimentaires en dépendent, il y a une grande urgence. Pour rappel, l'abeille domestique est apparue sur Terre il y a à peu près 80 millions d'années, l'agriculture 8 000 - 10 000 ans et l'agriculture intensive 70 ans. En quelques décennies, on a quand même fortement altéré nos paysages et les écosystèmes.
Quelles conséquences la disparition des abeilles pourrait-elle avoir sur notre écosystème ?
Il faut bien comprendre que les abeilles et les insectes pollinisateurs sont une clé de voûte de la biodiversité. Sans eux, on perdra beaucoup de nos ressources alimentaires, que ce soit les fruits ou les légumes. On aura même des difficultés pour avoir des graines : par exemple, on a des poireaux, des choux ou des carottes grâce aux abeilles. Les agriculteurs spécialisés dans la production de semences laissent fleurir leurs plants, que les abeilles viennent ensuite butiner, ce qui permet de produire les graines. Par ailleurs, beaucoup de plantes sauvages dans notre biodiversité sont pollinisées : si elles ne peuvent pas se reproduire, elles vont disparaître. Or, la plupart de ces plantes produisent des graines et des fruits mangés par des oiseaux et des petits mammifères. Donc c'est tout un ensemble qui serait menacé avec la disparition des abeilles.