Joyau architectural du XVIIe siècle, situé sur l'île Saint-Louis, l'hôtel Lambert est au cœur d'une polémique concernant des projets de rénovation, élaborés par l'architecte en chef des Bâtiments de France. La justice devra trancher.
L’histoire de l’hôtel Lambert croise celle de Delacroix, Chopin, Voltaire, de la famille Rothschild ou de Michèle Morgan. L’hôtel particulier, l’un des plus célèbres de Paris, situé en proue de l’île Saint-Louis, est un joyau de l’architecture du XVIIe siècle. Mais le bâtiment, classé aux monuments historiques, est aujourd’hui au cœur d’une bataille juridique concernant d’importants travaux de rénovation.
L’affaire commence en décembre dernier lorsque la Commission du Vieux Paris, chargée d’étudier les demandes des permis de démolir déposés à la mairie de la ville, tombe sur les 4000 pages du plan de rénovation de l’hôtel Lambert. Le projet a été élaboré par l’architecte des Bâtiments de France, Alain-Charles Perrot, à la demande de l’actuel propriétaire, le prince Hamad Ben Khalifa al-Thani, frère de l’émir du Qatar.
Défense du patrimoine
Installation de quatre ascenseurs, construction d’un parking souterrain, rehaussement du mur du jardin… Ces travaux d’une grande ampleur font bondir les membres de la Commission du Vieux Paris et de l’association Paris historique. Les mois suivants, Alain-Charles Perrot modifie plusieurs fois ses plans et finit, en juin dernier, par obtenir l’aval du ministère de la Culture. Mais il ne parvient pas à convaincre les défenseurs du patrimoine - en France et à l’étranger - qui déposent un recours devant le tribunal administratif de Paris. La juge des référés du tribunal administratif de Paris doit trancher, au terme d’une audience prévue le 8 septembre.
"Nous ne condamnons pas le projet lui-même, mais ses imprécisions, explique Pierre Hézieaux, président de l’association Paris historique. Ils veulent climatiser. Où vont passer les canalisations ? Nous avons obtenu la suppression d'une salle de bain juste au-dessus de la galerie d’Hercule (œuvre du peintre Le Brun) qui risquait d’endommager les peintures en cas de fuite, mais le plan adopté ne précise pas quel sera l’usage final de cette pièce." Et d’énumérer l’hérésie que constitue, selon lui, l’installation d’une climatisation dont les canalisations "défigureront" la façade, la construction du parking "qui risque de déstabiliser l’équilibre du bâtiment, et de toute l’île", le rehaussement du mur donnant sur la rue de 50 centimètres qui "brisera la perspective"…
Redonner à l’hôtel son aspect d’origine
"Ces allégations sont, pour l’essentiel, fondées sur des affirmations erronées", répond Thierry Tomasi, avocat de l’actuel propriétaire, le prince Hamad Ben Khalifa al-Thani. "Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’un parking a été construit dans les années 1980 dans la cour, et que, dans ce but, on a détruit une partie des voutes. Est-ce qu’on garde les choses en l’état ? Ou est-ce qu’on restaure ce qui a été détruit ? Une seule solution existe : enfouir le parking. Cela ne ferait subir aucune dégradation à l’ensemble." La salle de bain au-dessus de la galerie d’Hercule ? "Le projet prévoit de supprimer tous les points d’eau dans cette zone". Sur le problème posé par la climatisation, l’avocat est catégorique : "Cela n’a jamais été prévu. Nos plans incluent seulement l’installation d’un système de ventilation, pour maintenir une température stable nécessaire à la préservation des peintures, en utilisant des gaines dans le sol construites au XIXe siècle". L’avocat conclut : "Les plans présentés sont plus conservateurs que tous les précédents."
Alain-Charles Perrot a en effet l’intention de redonner à l’hôtel son aspect d’origine, celui que lui avait donné le jeune architecte Le Vau au XVIIe siècle, pour le secrétaire de Louis XIII. Quitte à supprimer certains ajouts datant du XIXe siècle. "La Charte de Venise [charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments, ndlr], sur laquelle le ministère de la Culture s’est toujours basé, implique de restaurer le site en conservant les traces de l’histoire, poursuit Pierre Hézieaux. Le projet de réhabilitation actuel ne prévoit pas de conserver les modifications faites au XIXe siècle."
Une charpente qui cède, des parquets qui pourrisent...
L’ambassadeur de Pologne s’en est d’ailleurs ému : les travaux entrepris au XIXe siècle ont été ordonnés par le prince Adam Czartoryski, figure éminente de l’histoire polonaise, dont la famille a occupé l’immeuble de 1843 à 1975. "Comment oublier l’importance d’un tel personnage historique ?", s’est indigné le diplomate dans une lettre adressée en août au ministre de la Culture, Fréderic Mitterrand. Le ministre, craignant l’incident diplomatique, s’est immédiatement rendu sur les lieux et a affirmé qu’il "veillerait à ce que soit préservé" le souvenir de ses propriétaires et résidents des lieux.
En attendant que l’affaire soit réglée, l’édifice se dégrade dangereusement. Aux dires du ministère de la Culture, la charpente serait en train de céder, les parquets de pourrir… Le frère de l’émir du Qatar, qui a racheté l’hôtel en 2007, est prêt à débourser 13 millions d’euros pour réhabiliter ce bijou architectural.