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Pour le dixième vendredi de contestation en Algérie, des signes d'essoufflement de la mobilisation

Depuis dix semaines, ils sont des millions à défiler dans toute l’Algérie pour réclamer la fin de l’ère Bouteflika. Pour la première fois, certains remarquent un essoufflement de la mobilisation, causé par la volonté du régime de gagner du temps.

En Algérie, la semaine a été marquée par de multiples limogeages, convocations judiciaires et arrestations d'homme politiques et d'hommes d'affaires. Mais cette volonté du régime de se refaire peau neuve ne suffit pas à calmer les contestations des Algériens. Pour le dixième week-end de mobilisation, ils sont une nouvelle fois descendus dans les rues pour demander la fin du "système".

Leurs revendications restent les mêmes : le départ d'Ahmed Gaïd Salah, le chef de l’état-major, celui d'Abdelkader Bensalah, le président par intérim, ainsi que du gouvernement de Bedoui. Les manifestants refusent particulièrement le maintien des structures et figures de l'appareil hérité d’Abdelaziz Bouteflika.

Mais pour la première fois depuis le début de la contestation populaire, si en apparence le nombre de manifestants reste aussi imposant, la mobilisation est moindre à Alger ou à Annaba que les semaines précédentes.

En cause, le changement de stratégie des forces de l’ordre. Vendredi 23 avril, en périphérie d’Alger, des barrages filtraient systématiquement les accès à la capitale, empêchant des cars entiers de manifestants d’accéder aux lieux de rassemblement.

Des milliers de manifestants refoulés à l’entrée d’Alger

#Algérie : En bloquant les #manifestants sur les routes pour les empêcher de se rendre à #Alger, le pouvoir avoue indirectement que la mobilisation est trop forte et que la capitale est saturée de monde. Une maladresse des autorités à bout de souffle. #algerie_manifestation pic.twitter.com/lvKpu3ETbS

  Ramdane (@rmk_juin) April 26, 2019

Said Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), en a fait les frais. Venu de Béjaia pour manifester à Alger, il dénonce sur Twitter son arrestation par les gendarmes avant d’être refoulé. "À l'instant, on vient d'être refoulés violemment de l'autoroute au niveau du tunnel de Lakhdaria sur notre route vers Alger par la gendarmerie, on a été interpellés et emmenés avec des menottes sous des insultes et menaces. Notre drapeau national a été confisqué." Le militant a pu rejoindre la capitale quelques heures après.

À l'instant, on viens d'être refoulés violemment de l'autoroute au niveau du tunnel de Lakhdaria sur notre route vers Alger par la gendarmerie, on a été interpellés et emmenés avec des menottes sous des insultes et menaces. Notre drapeau national a été confisqué. Alger fermé

  said salhi (@saidsalhi527) April 26, 2019

Le parti socialiste algérien, le Front des forces socialistes (FFS), a condamné la volonté du régime "agonisant d'imposer l'état de siège dans la capitale algérienne". Selon le FFS, "le pouvoir qui est visiblement extrêmement désemparé et paniqué, a recouru à ses anciennes méthodes despotiques et autoritaires qui consistent à placer des barrages policiers et de la gendarmerie dans la périphérie algéroise. Cette opération répressive qui nous rappelle les pires années coloniales, vise à empêcher des centaines de milliers de nos concitoyennes et concitoyens venus de plusieurs wilayas du pays de manifester librement dans leur propre capitale", écrit le parti dans un communiqué.

Des manifestants démoralisés

Mustapha Bendjama, militant et rédacteur en chef d’un journal local à Annaba, contacté par France 24, constate le même essoufflement à Annaba. Mais pour lui, une partie des manifestants est démoralisée. "Le régime mène une contre-révolution productive", regrette-t-il, en référence à la stratégie du général Gaïd Salah qui durcit le ton envers les opposants.

Vendredi dernier, deux manifestants avaient été arrêtés pour avoir brandi des pancartes montrant des caricatures de Gaïd Salah, nouvel homme fort du pays depuis la démission d’Abdelaziz Bouteflika.

Depuis le 10 avril, des incidents violents ont éclaté dans la capitale, opposant forces de sécurité et manifestants. Intimidations, menaces, humiliations (certaines manifestantes ont été forcées de se déshabiller) et des dizaines d’arrestations, notamment en pleine conférence à l’université de droit d’Alger par la BRI, unité d’élite, le 17 avril.

Avec l’arrestation de l’homme d’affaire Issad Rebrab et d’autres milliardaires, beaucoup d’Algériens s’inquiètent quant à leur propre sort, explique Mustapha Bendjama. "Si des hommes si riches et puissants ont été arrêtés, qu’en sera-t-il de moi, simple citoyen, se disent certains manifestants", résume-t-il.

"Nous n’avons pas peur"

Pour Rayan Djadri, lycéen politisé et manifestant de la première heure, ce n’est pas la peur qui explique cet essoufflement qui ne morcèle pas pour autant la mobilisation. Contacté par France 24, le jeune homme estime que c’est la fatigue et l'exaspération qui ont gagné une partie des manifestants. "Nous n’avons pas peur. Mais les marches du vendredi n'ont plus l'effet des premières, on s’essouffle, raconte-t-il. Les manifestations font paniquer le pouvoir mais ils ont compris comment contenir les manifestants et les réduire en terme de nombre."

Dans son discours du 23 avril, Gaïd Salah a repris le ton ferme et menaçant des prémices de la contestation et a soutenu une transition gérée par le pouvoir en place avec une présidentielle programmée pour le 4 juillet. Mesures rejetées par les manifestants et boudées par les partis d’opposition.

De leur côté, les manifestants restent déterminés à poursuivre la contestation jusqu’à satisfaction de leurs revendications. "Nous continuons de sensibiliser les Algériens en allant à leur rencontre dans les manifestations, dans les universités, affirme Mustapha Bendjama. Nous ne baisserons pas les bras".