
L'humoriste Volodymyr Zelensky, favori de l'élection présidentielle ukrainienne du 21 avril, joue de la ressemblance avec son personnage de fiction devenu président dans une série télévisée.
Qui aurait imaginé il y a quatre ans, au moment du lancement de la série ukrainienne "Serviteur du peuple", que la fiction dépasserait la réalité ? L’acteur et humoriste Volodymyr Zelensky, qui y incarne un enseignant devenu président de l’Ukraine, est en passe d’être élu dans la vraie vie. Il est donné favori après son arrivée en tête du premier tour du scrutin présidentiel ukrainien de dimanche 31 mars avec 30,2 % des voix, d’après des résultats partiels. Il devance ainsi le chef d’État sortant, Petro Porochenko, et l'ex-Première ministre Ioulia Timochenko, deux poids lourds de la politique ukrainienne.
Dans la rue, les Ukrainiens l’appellent déjà "Monsieur le président" depuis la diffusion de la première saison de "Serviteur du peuple", en 2015. Volodymyr Zelensky jouit d’une immense popularité, surtout auprès de la jeunesse.
À travers sa série, mais aussi ses spectacles de comédie, l’humoriste a fait de la satire des élites au pouvoir sa marque de fabrique. Ses blagues dénoncent la corruption et la rudesse de la vie. Deux thématiques qui touchent de près l’électorat ukrainien, dans un pays fragilisé par des années de lourdes difficultés économiques et de scandales de corruption.
Ressemblance troublante avec la fiction
La politique, Volodymyr Zelensky n’en connaît pas grand-chose d’autre que ce qu’il a appris à travers son personnage de président dans "Serviteur du peuple". Il l’admet volontiers : "Oui, je n'ai pas d'expérience" mais "j'ai suffisamment de force et d'énergie. Bien sûr que je n'ai pas toutes les connaissances, mais je suis en train d'apprendre", raconte le candidat, revendiquant son côté novice.
Dans la série, où il joue le rôle d’un enseignant, l’un des élèves l’enregistre à son insu en cours, pendant une diatribe enflammée contre la corruption des élites. La vidéo se propage sur les réseaux sociaux et le rend célèbre. Autre similitude avec le réel : les deux principaux adversaires politiques de son personnage ressemblent étrangement à Petro Porochenko et Ioulia Timochenko.
Le candidat joue allégrement de cette confusion entre fiction et réalité. Son parti politique porte le nom de sa série et son slogan, "Président serviteur du peuple. Bientôt", s’en inspire. Il va plus loin encore puisque la dernière saison de "Serviteur du peuple", très attendue par le public, a été diffusée dans les jours précédents le premier tour des élections.
Heureux hasard du calendrier, pendant sept heures, samedi, journée où toute campagne était censée être interdite, ses spectacles humoristiques et un documentaire sur Ronald Regan, dont il a réalisé la voix off ont été diffusés par la chaîne 1+1, propriété de l'oligarque Igor Kolomoïski, ennemi de Petro Porochenko. Un stratagème dénoncé par les adversaires politiques de Volodymyr Zelensky, qui l’accusent d'être un pantin d’Igor Kolomoïski, ce qu'il dément.
Un ami oligarque et des accusations de fraude fiscale
La position de Volodymyr Zelensky est paradoxale. Proche de l’oligarque, il s’est néanmoins entouré pour sa campagne de personnalités politiques telles qu’Oleksandr Danylyuk, présenté comme un ennemi d’Igor Kolomoïski. Ex-ministre des Finances sous Porochenko, c’est lui qui a nationalisé une banque appartenant à l’oligarque lorsqu’il était en poste. Oleksandr Danylyuk incarne aussi la lutte anticorruption, il a d’ailleurs démissionné du gouvernement après avoir estimé avoir échoué pour mener à bien sa mission.
Dans la fiction et dans son discours, Volodymyr Zelensky se pose comme chantre de la lutte anticorruption. Mais la réalité est tout autre. Entrepreneur à succès, le candidat a fait fortune dans la production audiovisuelle. Sa société diffuse de très nombreux spectacles, séries, films et dessins animés pour la télévision. Une fortune qu’il a investie, entre autres, dans "des affaires en Russie, en l'occurrence des sociétés de production gérées via des compagnies offshore basées à Chypre", ont révélé fin janvier des journalistes d’investigation, selon FranceInfo. Rattrapé par ces révélations, le candidat qui a d’abord nié l’information, a promis de vendre ses parts.
Pas de meetings mais des spectacles
Très à cheval sur sa communication, Volodymyr Zelensky s’exprime rarement dans les médias. En tout cas pas en direct, ni en débat. Il préfère les spectacles et les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux que les meetings électoraux.
D’anciens activistes de la révolte de Maïdan, rencontrés à Kiev par les correspondants de France 24, Gulliver Cragg et Elena Volochine, restent sceptiques vis-à-vis du personnage. "On parle de lui car c’est un nouveau visage, un nouveau venu, mais il n’est rien d’autre que cela, on ne sait pas très bien ce qu’il défend", s’interroge Kateryna Kruk, politologue et ancienne militante de la place Maïdan. "Et ce qui m’inquiète, c’est qu’on ne sait rien de son programme, ni de ses conseillers. Sur Internet, on a vu quelques-unes de ses réunions avec des soi-disant experts et on a remarqué qu’elles étaient bourrées d’approximations et d’erreurs", souligne-t-elle.
Russophone pro-occidental
Les adversaires de Volodymyr Zelensky s'interrogent sur sa capacité à gouverner un pays en guerre avec la Russie. Ce novice en politique, qui affiche un profil pro-occidental, promet de "lutter pour la paix en Ukraine". Le candidat russophone s'est dit ouvert à la négociation avec Moscou sur le conflit opposant l'armée ukrainienne et les séparatistes prorusses. "Si je rencontre M. Poutine, je lui dirai de nous rendre nos territoires, je lui demanderai quelles compensations il est prêt à nous verser pour nous avoir pris nos territoires et soutenu ceux qui ont participé à l'escalade en Crimée et dans le Donbass (zone de conflit à l'Est)", a assuré dimanche le favori de la présidentielle.
De son côté, la Russie observe le personnage à distance et se garde, pour l'heure, de tout commentaire. Le Kremlin a juste émis le souhait de ne pas voir la victoire du "parti de la guerre", visant le président sortant Petro Porochenko.
Avec AFP