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Pédophilie : un fléau qui gangrène institutions et familles

Après la surprise de la condamnation du cardinal Barbarin pour non dénonciation d'actes de pédophilie, l’Église semble ne pas être la seule institution affectée. L’Éducation nationale et les familles sont également touchées par ce type d'affaires.

La justice a condamné jeudi 7 mars le cardinal Philippe Barbarin à six mois de prison avec sursis pour non dénonciation des abus sexuels du père Bernard Preynat dont il a eu pour certains faits précisément connaissance. Une décision importante dans un contexte de libération de la parole des victimes de pédophilie dans le monde entier, après des années d’omerta au sein de l’Église catholique.

Le même jour, le procureur de la République de Grenoble, Éric Vaillant, a annoncé avoir placé en détention provisoire quatre adultes soupçonnés de viols et d'attouchements sexuels sur trois enfants en Isère, notamment leur mère, leur beau-père et leur grand-mère.

En tout, sept adultes âgés de 30 à 64 ans ont été mis en examen pour viols, agressions sexuelles, violences par personne ayant autorité, non-assistance, corruption ou encore non dénonciation de mauvais traitement.

D’abord révélés par le quotidien local Le Dauphiné libéré, les faits concernent deux fillettes de 4 et 7 ans ainsi que leur demi-frère de 10 ans. Ils se seraient déroulés entre l’été 2016 et fin 2018. Selon le quotidien régional, les trois enfants décrivent des scènes effroyables, où ils sont transformés en "jouets sexuels" lors de "soirées privées", où les adultes leur faisaient subir des actes sexuels.

"L’Eglise, l’Éducation nationale et la famille" en tête des affaires de pédophilie

"Les projecteurs sont sur l’Église, mais d'autres domaines sont concernés" par des affaires de pédophilie, estime auprès de France 24 Latifa Bennari, présidente de l’association l’Ange Bleu, destinée à prévenir les actes pédophiles.

Pour Me Jean Chevais, interrogé par France 24, ce fait divers prouve qu’il y a un trio de tête dans les affaires de pédophilie. Selon cet avocat au barreau de Paris, qui a contribué à la condamnation en 2001 de l’évêque Pican pour non-dénonciation, "l’Église, l’Éducation nationale et les familles" sont les institutions les plus impliquées, "de par le nombre d’actes".

Après la révélation de plusieurs affaires, l’Éducation nationale a suspendu 27 membres de son administration en janvier 2018 à la suite d'une vérification massive des casiers judiciaires de ses fonctionnaires.

Pourtant, "l’Éducation nationale n’a pas su mieux gérer ses affaires que l’Église, au départ", analyse Jean Chevais. Et maintenant, "il y a de nouveau un recul de la connaissance des affaires, [car] l'Éducation essaie de se protéger et de faire le tri.

Près d’un tiers des personnes mises en cause ont un lien familial avec la victime

Cette gestion se complique lorsqu’il s’agit d’une famille incestueuse, selon Me Chevais. "Il y a pas de moyen pour lutter contre ces cas efficacement, puisque cela se fait en cachette, à l’intérieur de la famille".

Ces cas sont pourtant relativement nombreux. Selon un rapport sur la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, publié en février 2018 au nom de la commission des lois du Sénat, environ 21 000 plaintes ou signalements sont enregistrés chaque année par les services de police et de gendarmerie, un chiffre qui sous-estime le nombre réel de violences "en raison du faible taux de dénonciation de ces faits", prévient le rapport.

De ces signalements, les mineurs connaissaient le mis en cause dans 87 % des cas de viols. Dans 22 % des cas, il y avait un lien familial ou sentimental, un chiffre qui monte à 70 %, lorsque les victimes sont âgées de moins de 6 ans.

"Le silence des victimes est très pesant quand l’agression vient de quelqu’un de confiance", explique à France 24 Mathieu Lacambre, psychiatre et président de la Fédération française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS).

"Il y a de plus en plus de victimes qui osent franchir le pas, même si ce n’est pas encore suffisant", avance la présidente de l’association l’Ange Bleu, qui se dit débordée par les demandes, tant par celles des victimes que celles des pédophiles cherchant de l’aide.

"Le glas de l’omerta a sonné"

Si la prise de parole semble affecter avant tout l’Église catholique, "on a tellement mis le doigt sur ces affaires que cela aura des répercussions dans les autres domaines, prévoit Me Chevais, qui poursuit : "Il faut que les coupables soient sanctionnés".

Le passage par la justice n’est pourtant pas le seul remède à ce fléau qui "concerne tous types de champs professionnels", défend le Dr Lacambre. "L’essentiel est d’éviter de nouvelles victimes, complète Latifa Bennari de l'association L'Anges Bleu. Mais les autorités ne font que regarder dans le rétroviseur et ressortir des affaires : il n’y a rien de nouveau de leur côté."

Le message est sans doute passé chez les magistrats, selon Me Chevais. "Ils ont évolué et ne prennent plus de précaution, ni avec l’Église, ni avec l’Éducation nationale ou les familles impliquées, avance-t-il. Le jugement de Barbarin a appliqué la loi dans toute sa justesse : le glas de l’omerta a sonné."