
Homme discret issu d’une puissante dynastie politique, Yukio Hatoyama est le grand favori des élections législatives du 30 août. Portrait d’un "Premier ministrable" qui pourrait mettre fin à 50 ans de règne des conservateurs.
Dans la famille Hatoyama, je voudrais… Le grand-père Ichirô, ancien Premier ministre (1952-1954) ? Le père Iichirô, ancien ministre des Affaires étrangères ? Ou encore Kunio, le petit-frère, ministre du gouvernement de Taro Aso jusqu’en juin dernier ?
Dans un pays où la politique est une affaire de famille - près d'un tiers des mandats de député se transmettent de père en fils -, Yukio Hatoyama ne fait pas tâche. Héritier d’une riche et puissante dynastie politique, que les Japonais comparent volontiers à la famille Kennedy, le chef de l’opposition nippone peut être fier de son pedigree. Son grand-père maternel n’est autre que le fondateur de la multinationale Bridgestone. Et la famille Hatoyama dispose d’un musée à sa propre gloire à Tokyo.
Mais celui quel les sondages donnent vainqueur des élections législatives du 30 août est aussi une bête politique qui a bâti en dix ans la principale force d’opposition au Japon.
Le virus familial le rattrape après des études à la prestigieuse université de Tokyo et à Stanford (Californie). Un temps professeur de gestion, Yukio Hatoyama obtient son premier mandat en 1986. Il est alors député du Parti libéral démocrate (PLD), le grand parti conservateur nippon, qu'il s’apprête justement à affronter à la fin du mois.
Seize années dans l’opposition
Car en 1993, Hatoyama quitte le parti majoritaire et rejoint une fragile coalition anti-PLD qui se maintient moins d’un an au pouvoir.
Il entame ensuite la mue politique qui le portera à la tête de l’opposition centriste. Rassemblant autour de lui tout ce que l’échiquier politique nippon compte de déçus, il s’allie à son petit-frère Kunio pour fonder le Parti démocrate du Japon (PDJ), qui absorbe bientôt une multitude de petites formations pour devenir en 1998 la première force d’opposition politique au Japon, damant le pion au Parti socialiste japonais. Cette même année, le PDJ s'empare de la Chambre haute (équivalent nippon du Sénat).
De 1996 à 2005, Yukio Hatoyama affine sa stratégie politique et confirme ses talents de meneur. Bien que libéral, il importe dans l’archipel le concept de "troisième voie" et oriente son parti vers un centre-gauche qui séduit de plus en plus l’électorat.
Devenu, sous sa houlette, le premier parti du pays en nombre de voix, la formation centriste essuie une cinglante défaite aux législatives de 2005 durant lesquelles les Japonais ont voté en masse pour un Parti libéral démocrate auréolé de l’immense popularité du Premier ministre d’alors, Junichirô Koizumi.
Amateur de baseball et de karaoké
Yukio Hatoyama avait quitté la tête du PDJ en 2005, il la retrouve au printemps 2009 à la faveur d'un scandale politico-financier. Empêtré dans une affaire de pots-de-vin, son leader Ichirô Ozawa est poussé à la démission.
Les Japonais (re)découvrent alors ce visage familier de l’opposition, que les sondages, à l'instar de celui publié, le 23 juillet, par le quotidien économique "Nikkei", ne tardent pas à créditer de 40 % d’opinions favorables. Hatoyama surfe depuis sur cette popularité nouvelle, évoque sa "mission historique" consistant à "construire une société fraternelle et à mener une politique basée sur l’amour" dirigée vers les familles, les chômeurs, les retraités. Son programme "au service de la vie des gens" (c'est ainsi que s'intitule son manifeste) prévoit des allocations familiales, la quasi gratuité de l’enseignement, ou encore la limitation des contrats précaires.
Mais bien plus que les programmes et les idées, c'est la personnalité même de leurs Premiers ministres qui passionnent les Japonais. C’est notamment grâce à sa coiffure léonine et à sa passion pour Elvis Presley que l’ancien Premier ministre Junichirô Koizumi (2001-2006) s’est taillé une immense popularité. Quant à l’actuel chef du gouvernement, Taro Aso, il est connu pour sa passion des mangas et sa voix rauque, presque agressive.
Yukio Hatoyama, lui, confesse dans son curriculum vitae des passions plus sages. Amateur de karaoké et de baseball (le sport national au Japon), son CV indique aussi qu’il aime la musique classique et, plus surprenant, qu’il est russophile. Son épouse, l’ancienne actrice de théâtre Miyuki Hashimoto, est une auteure et critique culinaire populaire au Japon, alors que les épouses des chefs de gouvernement sont traditionnellement très discrètes.
Les Japonais semblent ainsi apprécier en Hatoyama un responsable politique tenace, fidèle à ses discours anticorruption, vierge des casseroles qui sont l’apanage habituel des élus japonais (si ce n’est un adultère, reconnu et assumé, révélé en 1996) et surtout qui sait faire preuve d’humour : apprenant que beaucoup le surnommaient "E.T." en raison de ses yeux globuleux, il fit imprimer en 2001 des autocollants de sa caricature en… extra-terrestre.