Espion ou simple citoyen américain en visite à Moscou ? Le profil de l’ex-marine Paul Whelan, inculpé d’espionnage en Russie jeudi 3 janvier, intrigue.
Moscou assure détenir des preuves contre Paul Whelan. La Russie a inculpé pour espionnage, jeudi 3 janvier, cet homme de 48 ans ayant la double nationalité américaine et britannique. Moscou l’accuse d’avoir essayé d’obtenir des informations sensibles sur des Russes travaillant pour diverses agences d’État.
Sa famille réfute ces accusations et répète, depuis son arrestation le 28 décembre, qu’il n’avait fait que répondre à l'invitation d’un ancien camarade de l’armée lui demandant de l’aider à organiser son mariage avec une Russe.
Un compte sur le Facebook russe
Mais Paul Whelan n’est pas un touriste lambda. Il s’est rendu plusieurs fois en Russie depuis 2006, une époque où il était encore militaire. Et il a continué, même après avoir été congédié des marines pour "mauvaise conduite", en 2008. Son activité professionnelle n’avait pourtant aucun rapport avec la Russie, raconte le New York Times. Il occupe désormais le poste de responsable de la sécurité pour un fabricant américain de pièces détachées automobiles qui n’a pas de présence en Russie.
Il s’était aussi fait plusieurs amis russes, essentiellement à travers des échanges sur Internet. Paul Whelan détient un compte sur VKontakte, l’équivalent russe de Facebook, qu’il alimente sporadiquement depuis une dizaine d’années. C’est sur ce réseau social qu’il a célébré la victoire de Donald Trump en novembre 2016. Sa liste d’environ 70 contacts sur VKontakte contient essentiellement des Russes travaillant dans le secteur de la défense ou de la sécurité informatique.
Ceux-ci, contactés par des médias américains, ont présenté, pour la plupart, Paul Whelan comme quelqu’un "d’agréable" qui faisait des efforts pour apprendre le russe et comprendre la culture et l’histoire du pays.
Cet intérêt évident pour la Russie n’en fait pas pour autant un espion. Mais les autorités russes soutiennent qu’il a été pris en flagrant délit d’espionnage. Il aurait été interpellé dans un hôtel en possession d’une clé USB contenant le nom de Russes travaillant pour des agences gouvernementales de sécurité.
Paul Whelan contre Maria Boutina ?
Une preuve qui n’a pas convaincu le milieu du renseignement américain qui n’exclut pas, selon le Washington Post, qu’elle ait été fabriquée de toutes pièces par Moscou. Interrogés par le New York Times, d’anciens membres de la CIA jugent que le profil de Paul Whelan cadre mal avec celui d’un espion. Les agences de renseignement ne recrutent généralement pas d’anciens militaires renvoyés de l’armée pour "mauvaise conduite". De plus, un espion est rarement déployé en mission dans un pays aussi sensible que la Russie sans une couverture diplomatique. Un passeport diplomatique empêche en effet un gouvernement étranger de retenir en prison trop longtemps un espion pris la main dans le sac.
Paul Whelan se serait en fait retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment, d’après des experts du renseignement interrogé par le site Daily Beast. Selon eux, il pourrait avoir été arrêté pour servir de monnaie d’échange avec l’espionne russe Maria Boutina. Accusée, elle, d’avoir cherché à infiltrer la NRA, le puissant lobby américain des armes à feu, elle a accepté, le 11 décembre, de coopérer avec le FBI dans l’enquête sur l’influence russe durant la campagne présidentielle américaine de 2016.
Mais cette thèse de l’échange d’espions fait douter certains, notamment au New York Times, pour qui l’accord de coopération signé par Maria Boutina avec le FBI suggérerait qu’elle soit libre de retourner en Russie d’ici à quelques mois. Difficile de croire que Moscou est prêt à déclencher une crise diplomatique avec les États-Unis et le Royaume-Uni dans ces circonstances. Londres a déjà exprimé, vendredi, son "extrême préoccupation" après l’arrestation de l’un de ses ressortissants.
Paul Whelan est peut-être un simple pion dans une affaire d’espionnage aux relents de guerre froide, ou alors agissait-il pour le compte des services secrets américains ou britanniques. Une chose est sûre : si la Russie le reconnaît coupable d’espionnage, il risque jusqu’à vingt ans de prison.