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Syrie : dans le camp oublié de Rokbane, l'aide humanitaire arrive enfin

Depuis deux ans, le camp de réfugiés syriens de Rokbane, à la frontière jordanienne, vit un désastre humanitaire. En octobre, les conditions de vie se sont aggravées. Depuis quatre jours, l'ONU a pu y délivrer de l’aide à 50 000 personnes.

C’est une large bande de terre entre deux talus, un no   man’s   land en plein milieu du désert, au carrefour des frontières syrienne, jordanienne et irakienne. Dans le camp informel de Rokbane, près de 50   000   personnes tentent de survivre, dans le dénuement le plus total, soumises de facto à un état de siège. Selon l’Unicef, 70 à   80   % des réfugiés du camp sont des femmes et des enfants.

We have identified 10,876 probable shelters along the Jordanian side of the Syria/Jordan Rukban border in October, 25 kilometers southwest of the Al Waleed crossing. A 7 percent decrease vs. June https://t.co/tzEIhY4Db7 pic.twitter.com/A6Ig7NsF7z

  UNOSAT (@UNOSAT) 30 octobre 2018

Pour la première fois depuis neuf mois – et après de longues tractations – des convois humanitaires coordonnés par l’ONU et le Croissant rouge syrien ont pu atteindre le camp. La dernière opération d’aide à Rokbane remontait à janvier, et avait été organisée depuis la Jordanie.

Privés de nourriture et d'assistance médicale depuis un mois, les habitants du camp ont écrit à l'ONU pour appeler au secours. Début octobre, un bébé de cinq jours et une fillette de quatre mois sont décédés à Rokbane en raison du manque de soins, a déclaré l'Unicef.

Depuis le   3   novembre, 75   camions sont arrivés à Rokbane, dont 67 d'aide humanitaire, cette fois via le territoire syrien. Ils ont délivré aux réfugiés nourriture, produits hygiéniques et sanitaires. Entre autres, 10   000   paniers de nourriture, 18   000   vêtements, 10   000   serviettes hygiéniques pour les familles, 10   000   bâches en plastique…

67 trucks ???? of humanitarian cargo
10,075 WFP food rations ???? for
50,000 people ️ ????‍????‍????‍????

For 9 months, families in #RukbanCamp lived in harsh conditions without any humanitarian aid. Now they have access to WFP food & shelter necessities from @UNinSyria ahead of winter. pic.twitter.com/Sd2p262MWg

  World Food Programme (@WFP) 6 novembre 2018

"Situation humanitaire désastreuse"

"La situation humanitaire dans le camp est désastreuse. L’aide fournie n’offrira qu’un court répit aux déplacés. Cette aide doit absolument se poursuivre dans la durée", explique Fadwa Baroud, responsable de communication à l’ONU contactée par France   24 via whatsapp peu après son départ de Rokbane, le   6   novembre. Les Nations unies mènent également dans le camp une campagne de vaccination d’urgence contre la rougeole et la polio pour environ 10   000   enfants. Elle se poursuivra encore pendant deux jours.

Si tout accès humanitaire à Rokbane est complexe, c’est que le camp est totalement isolé, sans échappatoire au nord ou à l’est. Depuis le   21   juin   2016, la Jordanie a en effet fermé sa frontière avec la Syrie, bloquant tout passage. Ce jour-là, une attaque à la voiture piégée contre un poste frontalier, près de Rokbane, tue sept soldats jordaniens et en blesse 14   autres. Des combattants de l’organisation État islamique (EI), plus nombreux depuis les offensives de Raqqa, se sont infiltrés dans le camp, depuis lequel ils ont mené l’attaque. La région frontalière est déclarée "zone militaire".

Population assiégée

Des milliers de réfugiés, qui fuient justement l’EI au sud-est de la Syrie, se retrouvent alors pris au piège aux portes de la Jordanie. Pour le royaume hachémite, la fermeture de la frontière permet de lutter contre l’insécurité, mais également de stopper l’afflux de réfugiés, la Jordanie en accueillant déjà 670   000 .

Le gouvernement jordanien permet seulement aux réfugiés de Rokbane d’accéder à un hôpital géré du côté jordanien par la Jordan Health Aid society (JHAS), et financé par l’ONU. Mais au compte-goutte. "L’accès à la santé pour les déplacés de Rokbane reste un défi de taille, en raison du manque total de moyens dans le camp", affirme Fadwa Baroud.

Côté nord, c’est le régime syrien qui bloque tout accès humanitaire au camp depuis   2016, malgré de nombreuses tentatives de médiation des Nations unies. Jusqu’à il y a quelques mois, des routes commerciales informelles fonctionnaient encore. Mais elles ont été coupées depuis trois semaines par les forces gouvernementales, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

Une région stratégique

Le régime syrien, qui a usé à de nombreuses reprises de la tactique du siège, affirme que le camp est sous le contrôle de groupes rebelles armés combattant l’armée syrienne et ses supplétifs iraniens. Plusieurs milices sont en effet présentes à Rokbane   : Jaysh Ahrar al-Ashayer ("L'armée tribale indépendante"), constituée de membres de tribus de toute la région – et qui entretient d’étroits contacts avec la Jordanie–, ainsi qu’un autre groupe dénommé Maghaweir al-Thowra ("Les commandos de la Révolution"), soutenu activement par les États-Unis.

L’armée américaine dispose d’une base militaire à Al   Tanf, à quelques dizaines de kilomètres de Rokbane. Les combattants de  Maghaweir al-Thowra , qui appartenaient autrefois à l’Armée syrienne libre, seraient environ 300, selon un journaliste de NBC news qui s’est récemment rendu dans la base. Formés à l’origine pour combattre l’EI, leur rôle est désormais davantage de réduire l’influence des milices alliées à l’Iran dans la région. Celle-ci est d’autant plus stratégique qu’elle se situe à proximité de l’autoroute qui relie Damas à Bagdad, objet de nombreux combats depuis le début du conflit syrien.

Les Nations unies doivent désormais faire un bilan de la situation humanitaire dans le camp. "Nos experts sont encore en train d’évaluer la situation, et nous annoncerons prochainement si nous avons recensé des cas de malnutrition", explique Fadwa Baroud. Avec les pluies glaciales de l’hiver, et l’arrivée probable de la neige au cours des prochaines semaines, un nouveau désastre humanitaire se profile à   Rokbane. Dans le silence de la communauté internationale.