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Après Angela Merkel, le chaos ?

La décision de la chancelière allemande Angela Merkel de quitter la tête de son parti, lundi, marque le début de la fin de l'ère Merkel. Un choix qui sera lourd de conséquences aussi bien en Allemagne qu’en Europe.

Elle a commis ce qui, à ses yeux, constituait un suicide politique en Allemagne. En quittant la tête de son parti, la CDU, Angela Merkel a fait, lundi 29 octobre, ce qu’elle avait reproché à l’ancien chancelier Gerhard Schröder qui avait, en 2004, abandonné la direction du SPD (le parti social-démocrate) tout en restant chef de gouvernement. Alors dans l'opposition, Angela Markel avait jugé que cette décision affaiblissait la position de chancelier et signait le début de la fin du gouvernement. Un an et demi plus tard, le pouvoir basculait à droite... entre les mains d’Angela Merkel.

Depuis lors, elle a défendu le cumul du poste de chancelière avec celui de chef de parti, afin de tuer dans l’œuf toute dissension pouvant émerger au sein de son propre camp. Mais les revers électoraux successifs du gouvernement, en Bavière et en Hesse, et les frictions entre les partenaires de la coalition (CDU, CSU et SPD) ont poussé la chancelière à changer d’avis. “Elle a préféré une fin sans chaos à un chaos sans fin”, affirme Wolfgang Seibel, politologue à l’université de Constance (sud de l’Allemagne), contacté par France 24.

Le gouvernement en péril

Pour cet expert, Angela Merkel commence à faire ses adieux politiques avant d’avoir perdu trop d’autorité afin “de conserver un reste de contrôle sur la suite des événements”. En tant que membre historique du parti, elle veut pouvoir avoir son mot à dire sur la transition au sein de la CDU, tout en assurant une continuité à la tête de l’État.

Mais rien ne garantit que la suite des événements se déroule selon les désirs de “Mutti”. À commencer par la subsistance de son gouvernement. “Les chances que cette coalition reste en place ne sont pas bonnes”, juge Marc Debus, politologue à l’université de Mannheim, contacté par France 24. La décision d’Angela Merkel de ne pas briguer sa propre succession à la tête de la CDU ajoute de l’instabilité à une situation déjà explosive. “Il y a eu une période de négociations très longue et difficile pour la formation du gouvernement, puis des tensions entre la CDU et son allié traditionnel de la CSU [les conservateurs bavarois], et maintenant une période d’incertitude avec les débats pour trouver un remplaçant à Angela Merkel”, résume Wolfgang Seibel. Le destin du gouvernement dépendra beaucoup du nouveau chef des chrétiens démocrates, assure Marc Debus. “Si un candidat issu de l’aile conservatrice du parti gagne, ce pourrait être la goutte qui fait déborder le vase pour le SPD”, analyse-t-il.

Les sociaux-démocrates se sont toujours accomodés du positionnement centriste adopté par Angela Merkel. Le poids politique de la chancelière avait relegué au second plan du parti le camp des conservateurs plus durs de la CDU. "Ils vont essayer de sortir de l'ombre à l'occasion de la désignation d'un successeur à la tête du parti", estime Marc Debus. Deux candidats déclarés - le ministre de la Santé Jens Spahn et Friedriche Merz, un opposant historique à Angela Merkel - sont issus de l'aile droite du parti. La chancelière préfèrerait voir Annegret Kramp-Karrenbauer, beaucoup plus proche de ses valeurs, triompher dans cette lutte de pouvoir.

L’Europe affaiblie

Au-delà de l’Allemagne, l’annonce d’Angela Merkel “va aussi avoir un impact important sur la politique européenne”, estime Wolfgang Seibel. La position de l’Allemagne risque d’en ressortir affaiblie sur la scène européenne à un moment où les dossiers sensibles s’accumulent. “L’influence d’Angela Merkel va rester forte au niveau européen, mais la question est de savoir si elle le sera assez pour être à la hauteur des défis comme le Brexit, le budget italien ou encore la réforme des institutions européennes”, explique le politologue de Constance. Néanmoins, Bruxelles n’a pas non plus à craindre un virage eurosceptique en Allemagne. “Quel que soit le successeur d’Angela Merkel, la CDU reste le parti allemand le plus pro-Européen”, nuance Marc Debus.

Son retrait progressif du paysage politique risque aussi de compliquer les relations avec la Russie. Angela Merkel était la seule en Europe à avoir presque autant d’expérience sur la scène internationale que le président russe. À ce titre, elle était “avec le président français Emmanuel Macron, la seule que Vladimir Poutine respectait”, note Wolfgang Seibel. Pour le chercheur, l’affaiblissement de l’aura de la chancelière risque de rendre la citadelle européenne plus perméable aux efforts de déstabilisation de la Russie.

Le crépuscule d’Angela Merkel va accroitre l'instabilité politique aussi bien en l’Allemagne qu'en Europe. Mais pour Marc Debus, ce passage de relai est inévitable et devrait, au final, être “bénéfique pour le processus démocratique”. La chancelière est au pouvoir depuis treize ans et “le renouvellement politique est un phénomène nécessaire”, assure le politologue. Autre effet bénéfique de cette décision : c’est un coup dur pour les populistes de l’Alternative für Deutschland (AfD). En incarnant une politique migratoire généreuse, “elle était devenue un élément central des campagnes de l’AfD”, note Marc Debus. Pour Wolfgang Seibel, ce mouvement vient “de perdre son principal adversaire politique”.