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On a visité le data center de Qwant, le moteur de recherche anonyme qui veut contrer Google

L’outsider français qui séduit de plus en plus d’internautes nous a ouvert les portes de sa "salle des machines". De quoi prendre conscience qu’Internet peut prendre moins de place qu’on ne le pensait... Hum, que Google nous le laissait penser.

Il est 10 h 30 et le mercure atteint déjà les 30 °C à l’extérieur en ce mardi de juillet. À l’intérieur du bâtiment de cette zone industrielle de la banlieue parisienne en revanche, on pourrait presque enfiler une petite laine. Et pour cause, la clim’ tourne à plein régime pour maintenir à une température ambiante les immenses salles où surchauffent les serveurs.

Dans l’une d’entre elles se trouvent les coulisses de Qwant, ce petit moteur de recherche français qui a le vent en poupe depuis son alliance avec Mozilla. L’accord qu’il a passé, début juillet, avec l’éditeur du navigateur Firefox lui a permis de s’offrir, en plus d’un avenir prospère, un beau coup de pub. Le petit poucet du crawling Web a même eu droit à son lot d’articles dans la presse généraliste, lui qui il y a encore quelques semaines n’était utilisé, en grande majorité, que par des technophiles soucieux de préserver leur vie privée en ligne.

Car la protection des données de ses utilisateurs, Qwant en a fait son credo – que dis-je, son arme – pour tenter de s’imposer, dans la mesure de l’envisageable, face au géant Google. Pas de cookie, pas de collecte de données de géolocalisation, et une adresse IP de l’internaute cryptée à chaque visite. Ce qui donne logiquement, pour l’internaute face à son écran, des résultats vierges de tout ciblage, et donc identiques pour tous les utilisateurs.

Le prix de l’autonomie

Mais pour l’entreprise fondée en 2011, cette neutralité a un coût : "Forcément, il est impossible pour nous de dépendre du cloud américain, en souscrivant par exemple aux services proposés par les géants Amazon ou IBM. Déjà parce qu’ils ne sont pas assez puissants lorsqu’il s’agit de faire tourner un moteur de recherche, mais aussi parce qu’ils ne garantissent aucunement l’anonymat des utilisateurs", explique Éric Léandri, co-fondateur et directeur général de Qwant. "Il nous a fallu créer notre propre cloud, avec tout ce que cela implique." C’est donc dans leur petit "nuage" que l’ancien expert en sécurité informatique nous a donné rendez-vous ce jour-là. 

Façonner sa base-arrière faite d’ordinateurs centraux, de serveurs et de baies de stockage ne fut pas une mince affaire, même si la France dispose aujourd’hui d’infrastructures de qualité pour créer son data center en toute indépendance. La plupart des entreprises qui se sont spécialisées dans la location de ces grands hangars sont concentrées autour des grandes villes comme Paris, Lyon ou Marseille. Qwant, dont le siège se trouve à Nice, a opté pour un bâtiment situé en banlieue nord de Paris*. Il y loue plusieurs centaines de mètres, alimentés en électricité et surveillés 24 heures sur 24. "Pour le reste, on doit tout gérer nous-mêmes, y compris les firewalls qui protègent notre réseau. Et tout faire soi-même, ça coûte un bras : plusieurs millions d’euros", nous confie l’ancien expert en informatique.

On veut bien le croire : sur deux bonnes centaines de mètre carrés, une quantité de baies travaille dans une symphonie assourdissante de craquements et de ronronnements générés par les souffleries. Qwant emploie huit personnes pour s'assurer du bon fonctionnement de toute cette installation. Sans l’air conditionné, la chaleur dans la pièce serait largement équivalente à celle du dehors. L’espace d’un instant, on se surprend à essayer d’estimer la facture de Qwant en électricité. "C’est énorme", lâche Éric Léandri, sans toutefois donner de chiffre. "Mais c’est beaucoup moins que celle dont doit s’acquitter Google pour alimenter l’un de ses data centers."

Moins de data stockée, moins d’énergie brûlée

Rien de surprenant à ce que l’une des quinze structures détenues par le géant de Mountain View soit plus énergivore que celle de Qwant, lorsque l’on sait que le moteur de recherche comptabilise plus de 167 milliards de requêtes par mois, selon les estimations de Search Engine Land. Mais son hégémonie ne suffit pas à justifier l’énorme quantité d’électricité que requièrent ses titanesques centres de données.

Et ce même si Alphabet, sa maison-mère, travaille actuellement, selon Bloomberg, à exploiter l’intelligence artificielle DeepMind pour réduire sa note en électricité. "Forcément, stocker des informations sur chacun d’entre nous, ça prend de la place", lance Éric Léandri en élevant la voix pour couvrir le vacarme. "Si on le faisait chez Qwant, il faudrait en gros multiplier cet espace par trois."

Ne pas traquer l’utilisateur reviendrait alors aussi à être plus écolo ? "Je n’avais jamais vu les choses comme ça, mais oui." Éric Léandri concède pourtant dans la foulée que l’empreinte carbone de son entreprise n’a rien d’exemplaire, loin de là : "On aimerait bien moins consommer, moins polluer, mais c’est encore difficile dans ce domaine. Les énergies renouvelables y sont quasiment inexistantes". Pour cela, l’entrepreneur et ses associés songent à des contreparties, "comme des opérations de reforestation". "Même si ça ne fait pas le poids face à la réalité de ce que nous consommons en électricité."

Expansion programmée

À terme, l’objectif de Qwant est de représenter entre 5 et 8 % du marché. Pour ce mois de juin, le jeune moteur revendique près de 22 millions d’utilisateurs, là où il n’en comptait encore que 8 millions en début d’année. Au vu de sa croissance, l’entreprise a déjà réservé de l’espace supplémentaire dans le bâtiment : "Pour l’instant, ce que vous voyez là suffit pour monter jusqu’à 4 ou 4,5 % de part de marché en Europe. Au-delà, il faudra s’agrandir, jusqu’à quatre fois cette surface si on atteint notre objectif final."

Qwant devra aussi probablement ouvrir un data center en Allemagne, qui abrite 30 % de ses utilisateurs. Le groupe de presse Axel Springer (Bild, Die Welt…), leader outre-Rhin, a d’ailleurs investi à hauteur de 20 % dans la start-up. "Avec encore 20 ou 25 millions d'euros en plus, on aura de quoi faire un moteur qui indexe tout le Web européen."

Et même s’il y parvient, son data center restera toujours un poids plume face aux infrastructures de Google. "C’est l’avantage du respect de l’anonymat. Et ça ne coûte vraiment rien de nous tester : si vous ne nous aimez pas, on ne saura même pas que vous êtes venus nous rendre visite !"

* Qwant nous a demandé, pour des raisons de sécurité, de ne pas préciser la localisation de son data center.

– Article initialement publié le 23 juillet 2016.

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