
Depuis le 2 octobre, les révélations se succèdent dans l'affaire Khashoggi, ce journaliste saoudien assassiné au consulat de son pays à Istanbul. Retour sur trois semaines d'un feuilleton impliquant notamment Ankara, Riyad et Washington.
De la disparition du célèbre éditorialiste Jamal Khashoggi, assassiné dans le consulat saoudien à Istanbul, aux dernières déclarations des autorités turques et saoudiennes mardi, la tension savamment entretenue par le président turc avec Riyad, ne retombe pas.
La disparition
Le 2 octobre, Jamal Khashoggi pénètre dans le consulat saoudien à Istanbul vers 10 h 14 GMT, selon une image de caméra de surveillance publiée par le quotidien américain Washington Post avec lequel il collabore. D'après sa fiancée, le journaliste saoudien, qui s'était exilé aux États-Unis en 2017, redoutant une arrestation en raison de ses critiques répétées contre le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), s'y est rendu pour des démarches en vue de leur prochain mariage. Il n’en ressortira pas vivant.
Le 3, la présidence turque affirme que l’éditorialiste se trouve au consulat. Dans une interview diffusée le 5 octobre par l'agence Bloomberg, MBS affirme de son côté que Jamal Khashoggi est effectivement "entré" au consulat, mais qu'il en est sorti peu après.
"Tué au consulat"
Le 6, une source proche du gouvernement turc déclare que la police estime que "le journaliste a été tué au consulat par une équipe venue spécialement à Istanbul et repartie dans la même journée". Riyad dément fermement et s’accroche à sa version des faits.
"Le corps de Khashoggi a été probablement découpé et mis dans des caisses avant d'être transféré par avion hors du pays", affirme le Washington Post, citant un responsable américain. Le 10, le journal révèle qu'Ankara aurait affirmé à Washington détenir des enregistrements audio et vidéo montrant comment Jamal Khashoggi a été "interrogé, torturé puis tué" à l'intérieur du consulat, avant que son corps ne soit démembré.
Trump hausse le ton
Le 13, Donald Trump estime que l'Arabie saoudite pourrait être derrière la disparition et menace Riyad d'un "châtiment sévère", tout en excluant cependant un gel des ventes d'armes au royaume wahhabite.
Le 15, le président américain suggère, après un entretien téléphonique avec le roi Salmane, que la disparition "pourrait être le fait de tueurs hors de contrôle". Le lendemain, Donald Trump réclame le respect du principe de présomption d'innocence en faveur des Saoudiens.
Ankara resserre l'étau sur Riyad
Un journal progouvernemental turc, affirmant s'appuyer sur des enregistrements sonores à l'intérieur du consulat, rapporte que le journaliste y a été torturé avant d'être "décapité". Selon le New York Times, l'un des hommes soupçonnés d'avoir participé à l'assassinat appartient à l'entourage du prince héritier, et trois autres aux services de sécurité rattachés au prince.
Le président Trump admet pour la première fois que Jamal Khashoggi est très probablement mort, menaçant son allié saoudien de "très graves" conséquences si sa responsabilité est confirmée.
Le 19, selon les médias turcs, les enquêteurs ont élargi les recherches à une forêt d'Istanbul, où un véhicule muni de plaques diplomatiques aurait pénétré après avoir quitté le consulat. Les enquêteurs ont déjà fouillé le consulat et la résidence du consul.
Riyad rétropédale et reconnaît un "meurtre"
Acculée et sous pression, l'Arabie saoudite admet finalement le 20 octobre, soit 18 jours après les faits, que le journaliste a été tué à l'intérieur de son consulat. "Les discussions qui ont eu lieu entre lui et les personnes qui l'ont reçu au consulat ont débouché sur une bagarre et sur une rixe à coups de poing (...), ce qui a conduit à sa mort", explique le procureur général de la pétromonarchie.
Le roi Salmane ordonne au prince héritier de restructurer les services de renseignements, dont un haut dirigeant, Ahmad al-Assiri, et trois autres responsables sont limogés, tout comme un conseiller "médias" à la cour royale, Saoud al-Qahtani. Au total, 18 suspects saoudiens sont interpellés.
Le lendemain, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, indique que Jamal Khashoggi a été victime d'un "meurtre", évoquant une "opération non autorisée" par le pouvoir, dont MBS n'était "pas informé". "Nous ne savons pas comment, dans le détail", a été tué Khashoggi, ni "où se trouve le corps", confie-t-il.
"Mensonges"
Après avoir qualifié de "crédible" la version des Saoudiens, Donald Trump évoque "des mensonges", jugeant que "leurs histoires partent dans tous les sens". Pour Londres, Paris et Berlin, il y a un "besoin urgent de clarification".
Le 22, alors que les médias locaux multiplient les révélations, un quotidien turc proche du pouvoir affirme qu'un membre du commando a appelé à plusieurs reprises le directeur du bureau du prince héritier après le meurtre.
Le 23, le ministre saoudien de l'Energie, Khaled al-Faleh, concède que l'Arabie saoudite traverse une "crise" à la suite du meurtre "abominable" de Jamal Khashoggi, devant le forum international sur l'investissement réuni à Riyad, boycotté par plusieurs têtes d’affiche.
Les enquêteurs turcs tentent de leur côté de retrouver le corps du journaliste, fouillant notamment la forêt de Belgrade, à la périphérie nord d'Istanbul.
Erdogan contredit la version saoudienne
Le même jour, Recep Tayyip Erdogan appelle Riyad à lui livrer les coupables afin qu’ils soient jugés à Istanbul, et insiste sur le caractère soigneusement prémédité de ce crime "sauvage", contredisant ainsi la version saoudienne. "La conscience internationale ne sera apaisée que lorsque toutes les personnes impliquées, des exécutants aux commanditaires, auront été punies."
Il détaille les préparatifs entrepris par des employés du consulat et un commando de 15 agents dépêché par Riyad en vue de perpétrer le meurtre, qu'il qualifie d'"assassinat politique". "Pourquoi le corps est-il toujours introuvable ?", a notamment demandé le président turc, exigeant en outre de savoir "qui a donné les ordres" aux tueurs.
De leur côté, le roi Salmane et son fils reçoivent dans l'après-midi au palais royal à Riyad deux membres de la famille du journaliste tué, auxquels ils présentent leurs condoléances.
Peu de temps auparavant, le gouvernement saoudien avait déclaré que toutes les personnes impliquées dans le meurtre devront rendre des comptes, "peu importe qui elles sont".
Washington révoque des visas de Saoudiens
Le 23, le secrétaire d'État américain, Mike Pompeo, annonce la révocation des visas des Saoudiens impliqués dans le meurtre du journaliste. Donald Trump rappelle que Riyad reste un "excellent allié" des États-Unis, tout en critiquant l'opération : "Ils avaient un très mauvais projet à l'origine, il a été très mal exécuté et l'opération de dissimulation a été l'une des pires de l'histoire des opérations de dissimulation."
Avec AFP