
Dans son premier roman, "La vérité sort de la bouche du cheval", l’auteure marocaine Meriem Alaoui livre avec une plume incisive un récit truculent sur la prostitution à Casablanca.
La vérité sort de la bouche des prostituées. Du moins pour Meriem Alaoui, auteure marocaine de "La vérité sort de la bouche du cheval", publié le 23 août dans la collection Blanche de Gallimard. Un premier roman sélectionné pour le Goncourt des lycéens – décerné le 16 novembre – qui interpelle par sa drôlerie et son réalisme.
L’histoire se passe en 2010. Jmiaa, 34 ans, passe le plus clair de son temps à arpenter les trottoirs de Casablanca. Après un mariage malheureux, la jeune femme est contrainte de remonter sa djellaba pour subvenir aux besoins de sa fille. Ce récit écrit à la première personne, à la manière d’un journal, embarque le lecteur dans un Casablanca populaire où chacun tente de faire face aux difficultés du quotidien. Dans cette galerie de personnages hauts en couleur, il y a Halima, une jeune prostituée dépressive qui lit le Coran entre deux passes. Hacine, son proxénète. Et sa mère, pétrie de morale qui semble tout ignorer de l’activité de sa fille jusqu’au jour où… Et Casablanca, personnage principal du roman qui domine par sa vivacité.
Une fiction inspirée de rencontres
Un roman social mais jamais misérabiliste. Jmiaa n’est pas une victime mais une femme forte au parler cru. Autant prévenir les oreilles chastes, les insultes et jurons ponctuent le récit. C’est d’ailleurs cette gouaille et ce caractère bien trempé qui vont séduire la cinéaste. Quelle cinéaste ? Celle qui va lui proposer de jouer dans son film, Bouche de cheval comme elle aime l’appeler. La suite est réservée aux lecteurs.
L’histoire est une fiction, rassure l’auteur dans ses interviews, mais plusieurs anecdotes sont directement inspirées des rencontres qu’elle a faites du temps où elle vivait au Maroc. "Quand j’habitais à Casablanca, il y avait des prostituées qui travaillaient et vivaient à côté du marché de la rue d’Agadir… Je marchais beaucoup et comme j’étais fascinée par ces femmes, je m’arrêtais à chaque fois pour écouter leurs histoires. Il y avait aussi un gardien de voiture qu’on retrouve dans le livre et qui me racontait ce qui se passait quand je n’étais pas là", confie-t-elle au site H24Info.ma.
Il y a surtout un style. Incisif et truculent, "La vérité sort de la bouche du cheval" détonne par son écriture, un mélange de français, d'arabe et d'argot pour servir des situations cocasses et dramatiques à la fois.
Bientôt adapté au cinéma
"Il y a un aspect politique parce que c’est un témoignage de notre époque", souligne Axelle Simon, journaliste culture à France 24. Dans un Casablanca, où la précarité domine et le poids des traditions persiste, la narratrice fustige toutes les formes du patriarcat et la soumission des femmes.
Difficile de ne pas faire le lien entre ce livre et le film "Much Loved" de Nabil Ayouch, sorti en 2015, qui a suscité de vives polémiques lors de sa promotion. Dans le long métrage, quatre prostituées évoluent dans un Marrakech d’aujourd’hui qui les utilise tout autant qu'il les condamne. "La vérité sort de la bouche du cheval" pourrait bien connaître le même succès populaire dans les salles de cinéma, puisque le livre fait actuellement l’objet d’une adaptation au cinéma.
En attendant la sortie dans les salles obcures, quelques bonnes feuilles du roman :
Tu les montes tous. Le minable, le frustré, l’esseulé, le fils de pute, le juste là. Celui qui pointe l’ardeur de ta main pour sa joie faible et stérile. Et celui dont aucun trou ne comble la haine. Qui ne s’apaise qu’au son déchiré d’une tâche brune et sang. Celui-là enfin qui rachète dans ton ventre son inutile sueur. Damné, il ne mangera jamais à sa faim alors il mord dans ta chair. Pour que ces dents – aujourd’hui au moins – lui servent à quelque chose. Et dans le râle de son haleine de soufre, il gicle son amertume sur ta joue et tes cheveux emmêlés. Ici tu rencontres celui qui chaque jour boit sa honte et – le soir venu – te fait vomir la sienne, dans des toilettes sales et l’excuse d’un vin frelaté. Mais, au fond, tu te fous bien d’eux, de leur misère et de leur crasse. Parce que tu sais que c’est comme ça. Et que sur cette terre, chacun son lot. Alors moi, dans la besace pourrie du sort, je me sens juste bénie quand j’en tire un rapide.