
Alors que l’ONU a affirmé mercredi que la Colombie reste le principal producteur de cocaïne au monde avec des hausses record des plantations de coca, nos reporters se sont rendus dans le Catatumbo, dans le nord-est du pays, l’une des principales régions de production de la plante interdite. Ils y ont rencontré les cultivateurs de coca, qui vivent sous les tirs croisés des guérillas qui se disputent le contrôle du territoire.
Avec la guerre qui fait rage, l’accès à la région colombienne du Catatumbo, au nord du département du Norte de Santander, est difficile. Nous avons accompagné une mission humanitaire d’organisations paysannes et de défense des droits de l’homme, chargée d’aller recueillir des témoignages sur le conflit en cours entre les guérillas de l’EPL et de l’ELN, qui se disputent le contrôle de cette région frontalière avec le Venezuela. L’une des principales raisons de leur conflit est le contrôle des zones de culture de coca. Les groupes armés prélèvent une taxe sur la production et le trafic de cocaïne. Plus ils contrôlent de territoires semés de coca, plus grands seront leurs bénéfices financiers.
Ces derniers mois, la guerre entre l’EPL et l’ELN dans le Catatumbo a déplacé plusieurs milliers de personnes, 9 000 selon l’ONU. Les paysans quittent leurs fermes éparses dans les montagnes pour se rassembler dans des refuges provisoires, puis ils rentrent chez eux une fois les combats passés. Ces affrontements se déplacent dans la région selon une logique indiscernable. Il arrive que les civils se retrouvent pris entre deux feux, comme au hameau de Mesitas durant notre tournage. Les familles se rassemblent et attendent que cela passe, impuissants. Certains ne peuvent plus aller cultiver leurs champs, minés par les guérilleros. Des écoles ont fermé. Les habitants du Catatumbo sont prisonniers, et fatigués de ce conflit qu’ils ne comprennent pas.
Plante maudite
Les deux guérillas qui s’affrontent dans le Catatumbo cherchent aussi à contrôler les territoires laissés vacants par la guérilla des FARC, qui a rendu les armes en 2017. Dans le cadre de l’accord de paix signé avec le gouvernement, un plan de substitution national de cultures de coca a été mis en place pour lutter contre ce fléau qui reste l’un des principaux carburants du conflit colombien. L’idée est de réduire la superficie cultivée en offrant aux paysans des financements pour qu’ils se lancent dans d’autres cultures. Mais ce point important de l’accord de paix, qui compte avec la participation des FARC, du gouvernement et des Nations unies, peine à se concrétiser. Les aides pour financer des projets alternatifs tardent à arriver. Les paysans qui y souscrivent, comme José, que nous avons rencontré lors de ce reportage, se retrouvent démunis avec leurs familles à nourrir. Plus grave, le nouveau gouvernement du président Ivan Duque, qui a pris ses fonctions en août, a fait campagne contre le processus de paix avec les FARC. Il s’oppose à de nombreux points de l’accord signé par son prédécesseur et prix Nobel de la paix, Juan Manuel Santos. Aujourd’hui, le plan de substitution est paralysé, et les milliers de familles qui y ont souscrit dans tout le pays sont plongées dans l’incertitude.
Pour comprendre et écouter les revendications des "cocaleros", nous sommes allés à la rencontre d’une communauté de cultivateurs, à Vetas de Oriente. Alvaro, le président de l’association locale de paysans, nous a ouvert ses portes et son laboratoire de production de pâte-base de cocaïne.
Tous les cultivateurs de coca voudraient cultiver autre chose que cette plante maudite qui n’attire que les conflits et la violence. Ils dénoncent l’abandon de l’État : ces régions sont de vastes zones sans routes, sans électricité, sans écoles ni postes de santé, et livrées aux groupes armés. Souvent la présence de l’État n’est que militaire. Faute d’infrastructures, les autres cultures vivrières ne sont pas rentables. Le prix du transport pour aller vendre ces cultures au marché le plus proche, à des heures de route, est la plupart du temps supérieur au prix de vente.
Avec l’arrivée du nouveau président Ivan Duque, une nouvelle menace se profile pour les "cocaleros". Soumis à la pression des États-Unis qui le somme de réduire la superficie cultivée, le gouvernement a annoncé qu’il reprendrait les aspersions aériennes de glyphosate. Elles avaient pourtant été suspendues en 2015 en raison des doutes existant sur les dangers que l’herbicide peut représenter pour la santé. Et leur efficacité n’est pas prouvée : en général, les cultures de coca aspergées de glyphosate sont replantées ailleurs. Cette fois, l’aspersion se fera à l’aide de drones. Outre les problèmes sanitaires que cela pourrait engendrer, le risque est générer des déplacements de population. À nouveau, les principales victimes seront ces cultivateurs, ces "damnés de la coca" qui cultivent la plante interdite pour nourrir leurs familles.