logo

Effondrement du viaduc de Gênes : un signal d'alarme pour les ponts européens

L’effondrement du viaduc de Gênes met en évidence le vieillissement des infrastructures dans le reste de l'Europe et les défis liés leur entretien. Plusieurs ingénieurs tirent la sonnette d'alarme et appellent les États à investir davantage.

Il est trop tôt pour déterminer les causes exactes de l’effondrement du viaduc de Gênes. Vieux de 51 ans, ce pont dessiné par l'ingénieur civil italien, Riccardo Morandi, à l’architecture et au design inhabituels, posait problème du point de vue de la maintenance. Les experts espèrent que la tragédie, qui a coûté la vie à au moins 38 personnes, servira de rappel aux autorités européennes.

"Les gouvernements doivent comprendre que ces ponts nécessitent beaucoup de maintenance", explique Barry Colford, vice-président de l’entreprise de construction canadienne Aecon et maître d’œuvre du pont autoroutier du Forth, près d’Édimbourg, en Écosse.

Barry Colford regrette une approche "de coupure de ruban" en matière de ponts : les gouvernements inaugurent de nouveaux projets en fanfare et les oublient peu à peu. Mais en pratique, les ponts, en particulier ceux qui ont été construits dans les années 1960 et 1970, lors de la construction de grandes infrastructures de transport en Europe et aux États-Unis, nécessitent un entretien régulier. "C'est le message que les ingénieurs essaient de faire passer depuis longtemps… Et si on ne s'en occupe pas, on va au-devant de futures tragédies", alerte-t-il.

On ne sait pas encore si le manque d'entretien est au cœur de la tragédie du pont de Morandi, mais les journaux italiens expliquaient vendredi qu'une étude d'ingénierie commandée par Autostrade per Italia – la société qui exploite le viaduc –, mettait en garde contre l'état des haubans de béton soutenant la structure. On y apprenait aussi que la construction de deux structures de support verticales avait été prévue, pour un montant de 20 millions d’euros. C'est l'une de ces deux structures en cours de rénovation qui s'est effondrée, mardi 14 août.

"Tout est affaire de contrats"

Autostrade affirme avoir surveillé le pont tous les trimestres, conformément à la loi, et avoir engagé des experts en externe pour effectuer des vérifications supplémentaires. Le ministère italien des Transports a donné quinze jours à l'entreprise pour démontrer qu'elle avait rempli toutes ses obligations contractuelles.

Ian Firth, ingénieur consultant en structures chez Cowi, explique : "le gouvernement [italien] avait accordé [à Autostrade] une concession. Cette concession stipule des exigences en matière de maintenance, de façon à ce que lorsque la période de concession prend fin, l'infrastructure soit remise au gouvernement en bon état, et entre temps, que les usagers aient voyagé en sécurité".

Lorsque des ponts sont exploités par des entreprises privées, les contrats sont essentiels. La gestion privée peut s'avérer tout à fait efficace, si le contrat est correctement structuré. "Les problèmes surviennent s’il n’y a pas assez d’argent alloué par le gouvernement pour effectuer l’inspection et l’entretien... Il faut que le contractant puisse effectuer l’inspection", explique Barry Colford d'Aecon.

Ensuite, ces inspections doivent être vérifiées par une entreprise externe "et arrivent les questions suivantes : qui contrôle le système ? Qui vérifie ?", interroge Ian Firth le consultant de Cowi. En Italie, une vingtaine d'entreprises gèrent les 6   000   km d'autoroutes, les quelque 1   000   km de ponts et viaducs, ainsi que les 870   km de tunnels. De tels arrangements ne sont pas inhabituels : dans toute l'Europe, les gouvernements ont recours à des entreprises privées pour l'entretien et l'exploitation des ponts. Ian Firth souligne que, dans l’ensemble, les ponts sont fiables et qu'un effondrement comme celui de Gênes est "très, très rare".

Plus le temps avance, plus les infrastructures vieillissent

La rareté de telles tragédies donnent l'impression aux gouvernements que la sécurité des ponts est un acquis. Mais, à mesure que le temps passe, les budgets pour les rénover deviennent de plus en plus conséquents. "Une infrastructure vieillissante est un véritable défi", insiste Barry Colford. "Il faut plus de budget car plus ils vieillissent, plus les exigences en matière d'inspection et de maintenance augmentent."

Il s'avère très difficile de faire allouer par les politiques ces dépenses d’infrastructures dans les budgets. "Il n'y a pas de votes pour la maintenance des ponts", déplore Barry Colford. "Au fil des ans, le financement s'est avéré insuffisant : c'est un combat depuis toujours. Et cela s'applique aussi bien pour les États-Unis que pour le Royaume-Uni ou que pour l'Europe continentale… Nous sommes en concurrence avec l'éducation et les soins de santé. Ça rend la chose difficile." Cette tension était flagrante en Italie, où les dépenses d'investissement et de maintenance pour les infrastructures de transport ont chuté, selon l'OCDE, de 58 % entre 2008 et 2015.

En France, 7 % des infrastructures à rénover

Gênes devrait être un signal d'alerte pour les politiques. "Malheureusement, il semble qu'il faille une tragédie avant que les gouvernements ne comprennent qu'il faut investir de l'argent afin de minimiser les risques", regrette Barry Colford.

Sans un entretien adéquat, il peut arriver de nouveaux drames. Une étude, publiée cette semaine par le groupe d’ingénieurs italiens du CNR engineering, cite quatre autres cas d'effondrements majeurs, au cours des deux dernières années. Liés à la faiblesse de la structure, ces cas firent trois morts et quatre blessés.   Un rapport récent commandé par le ministère français des Transports conclut que 7 % des infrastructures du pays, tels que les tunnels et les ponts, nécessitaient des travaux de rénovation. En 2017, l' Institut fédéral de recherche sur les autoroutes d'Allemagne (BASt) constatait que 12,4 % des ponts routiers du pays étaient en mauvais état. Le constat est là : tous les ponts doivent être entretenus, n'en déplaise aux gouvernements et à leurs coupes budgétaires.

Article traduit par Mathias Hosxe - Pour lire l'article dans sa version originale (en anglais), cliquez ici