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Aux États-Unis, les jeunes anti-armes de March For Our Lives achèvent une tournée "incroyable"

correspondante à New York – Les lycéens de Parkland, ainsi que d’autres adolescents, achèvent dimanche deux mois d'une tournée, Road to Change, à travers les États-Unis pour prôner un contrôle plus strict des armes à feu et inciter les jeunes à voter.

L’ambiance est digne d’une boum. Dans un centre culturel du Queens à New York, des haut parleurs crachent une musique poussée à fond et des adolescents survoltés dansent en cercle, levant les bras en l’air et riant à gorge déployée. Parmi eux, se détache le crâne rasé d'Emma Gonzalez, figure de proue du mouvement "March For Our Lives" ("Marche pour nos vies"), créé après la tuerie de Parkland en Floride, en février 2018. La jeune fille de 18 ans, survivante de cette fusillade qui a coûté la vie à 17 lycéens, remue dans tous les sens, lâche de larges sourires et multiplie les embrassades. Malgré l'apparente désinvolture, le sérieux n'est pas loin. Ce samedi 11 août marque l’avant-dernière étape de la tournée "Road to Change" ("la route du changement") lancée par des lycéens de Parkland. Depuis mi-juin, ces derniers, ainsi que des adolescents militants venus des quatre coins du pays, sillonnent les États-Unis à bord d’un énorme bus. Le but : réclamer des lois plus strictes sur la possession d'armes à feu et inciter la jeunesse américaine à s’emparer du sujet en s’inscrivant – pour ceux qui ont l’âge légal – sur les listes électorales, en vue des élections de mi-mandat (Midterms) de novembre 2018.

En deux mois, 18 ados, accompagnés de "6-7 adultes", se sont arrêtés dans plus de vingt États et ont organisé des dizaines d’événements, dont des "town halls", ces meetings publics regroupant élus et citoyens qui, à eux seuls, ont rameuté 150 000 personnes, selon March For Our Lives. Cette tournée s'achèvera, dimanche 12 août, à Newtown, ville du Connecticut tristement célèbre pour avoir été le théâtre de la tuerie de Sandy Hook, dans une école primaire en 2012.

Création d’une "force jeune et éduquée"

Alex King, 18 ans, est de quasiment toutes les danses. "La tournée a été fatigante et pleine d’émotion", explique-t-il, comme pour justifier leur besoin de lâcher prise. "Mais si on ne se bouge pas, qui le fera ?" Pour ce jeune homme boute-en-train originaire de Chicago, pas de vacances en perspective. Dès la semaine prochaine, il reprendra ses activités au sein de "Peace warriors" ("Les guerriers de la paix"), une organisation lycéenne prônant la non-violence, avant d’entamer, à la rentrée, sa première année de fac.

"Ça a été une tournée incroyable, un vrai succès", lance, Matt Dietsch, l’un des organisateurs qui, à seulement 20 ans, est le doyen chez March For Our Lives. Pour preuve : des dizaines de milliers de jeunes ont été inscrits sur les listes électorales, assure-t-il. "Dans le Wisconsin, on est passé de 8 % à plus de 18 % de jeunes électeurs inscrits [entre 18 ans et 29 ans, NDLR]. Dans tous les États que l'on a traversés, les inscriptions ont bondi." Un T-shirt spécial a été créé pour faciliter ce processus : il est affublé d'un code barre en forme de drapeau américain qui, une fois scanné via un smartphone, permet de s’inscrire sur les registres électoraux "en quelques minutes".

Matt Dietsch, dont le jeune frère a survécu à l’attaque du lycée de Parkland, reste toutefois mystérieux quant au nombre exact de nouveaux électeurs. "On ne veut pas qu’ils [ceux qui s’opposent aux législations sur le port d’armes, NDLR] s'attendent à ce qui va se passer", annonce-t-il, ménageant son effet. "Nous sommes en train de créer une force jeune et éduquée, capable de venir à bout des élus corrompus."

"Sache que mes amies et moi, on te trouve formidable. Tu inspires aussi ma génération"

À en juger par la présence de jeux géants, tels que Uno, Jenga et Puissance 4, il ne fait aucun doute que l’événement a été pensé pour attirer des jeunes, voire des très jeunes. Répondre aux médias ne fait pas partie des priorités de l'organisation. Les deux têtes d’affiche, Emma Gonzalez et David Hogg, protégées par trois hommes en charge des relations presse, ne s'adressent pas aux journalistes. Emma Gonzalez, dont le discours en février a fait le tour du web et du monde, se consacre aux séances photos avec ce qui ressemble à des fans. "Tu es un modèle pour moi", lui glisse une pré-adolescente, mains jointes et regard plein d’admiration. Denise Donofrio, une quinquagénaire venue avec son mari, ajoute sa voix au concert de louanges : "Sache que mes amies et moi, on te trouve formidable. Tu inspires aussi ma génération."

Soudain, la "fête" est interrompue. Le temps d'une performance artistique. Manuel Olivier, le père de Joaquin Olivier, l’un des jeunes tués à Parkland, réalise, devant un public silencieux, une œuvre en hommage à son fils, à l’aide de bombes de peinture et de pochoirs. Puis, il s’empare d’un marteau et assène de violents coups sur sa création. Il la troue ça et là et, surtout, fait retentir dans la salle un bruit semblable à celui de coups de feu. "C’est le son qui retentit tous les jours dans notre pays", lance-t-il à l’assistance médusée.

Manuel Olivier, le père d'une victime de la tuerie de #Parkland, crée une oeuvre en hommage à son fils, puis lui assène des coups de marteau. "C'est ce bruit-là qu'on entend tous les jours dans les villes américaines", dit-il, pour dénoncer les violences par armes à feu. pic.twitter.com/JKLflH1oSZ

  Charlotte Oberti (@C_Oberti) 12 août 2018

Selon le site Gun Violence Archive, recensant les homicides par armes à feu aux États-Unis, 1 782 adolescents (entre 12 et 17 ans) ont été tués ou blessés en 2018. En tout, près de 9 000 personnes ont été tuées et 216 tueries de masse répertoriées durant cette période.

"J’ai découvert l’Amérique"

Pour les jeunes de Road to Change, il s’agit de susciter une prise de conscience. Les violences par armes à feu ne se limitent pas aux tueries dans les écoles qui font les gros titres. Elles concernent aussi, au quotidien, des jeunes défavorisés dont on ne parle pas assez. Bria Smith est là pour le rappeler. Cette Afro-Américaine de 17 ans, au débit de paroles assuré, a rejoint le mouvement fin juin depuis Milwaukee, l’une des villes du pays où la ségrégation frappe encore le plus. Elle vient parler de la situation des Noirs. "Je vis dans un endroit où il y a un fort taux de criminalité. Tout le monde a une arme dans mon quartier, même mes parents. C'est nécessaire", explique-t-elle, précisant d'ailleurs qu'il n'est "bien sûr pas question de retirer leurs armes aux citoyens", mais de mieux réguler la manière de les obtenir. "J’ai grandi en entendant des coups de feu tous les jours et je croyais que c’était normal… Jusqu’à ce que je rencontre des personnes venues d’autres villes."

À l'inverse, du haut de ses 15 ans, Daniel Duff, un adolescent discret et poli qui a réchappé à la tuerie en Floride, n’avait pas idée de la vie de certains Américains. "Je ne savais pas qu'à Chicago des dizaines d’enfants ont été tués par balles en quelques mois", avoue timidement celui qui retournera, avec une certaine appréhension, sur les bancs du lycée Stoneman Douglas, le 15 août. "J’ai en quelque sorte découvert l'Amérique cet été. Cette tournée a changé ma vie."

À l’échelle nationale, Matt Dietsch en est convaincu : les Américains ne se connaissent pas. "J’appréhendais notre passage dans l'Utah, indique-t-il. Mais, à ma grande surprise, on s'est retrouvé face à des mecs avec des T-shirts représentant des armes qui nous ont applaudis. On a tous réalisé qu’on avait plus de choses en commun que ce que l'on pensait. La société n’est pas aussi polarisée que ce que l'on croit. Quasiment tout le monde est favorable à plus de régulations, sauf le Congrès et ses leaders moralement injustes." Autre source de satisfaction pour le militant : 55 lois portant sur le contrôle des armes ont récemment été adoptées dans plusieurs États. Pas d’évolution, en revanche, au niveau fédéral. "Mais si on continue à faire du bon travail, on y arrivera", annoncent les membres de March For Our Lives.