
Opposé pour la seconde fois à Ibrahim Boubacar Keïta lors d'une présidentielle, Soumaïla Cissé n'a pas su fédérer l'opposition autour de son nom. Il espère toutefois une forte mobilisation des déçus du président sortant pour l'emporter dimanche.
Bis repetita. Comme en 2013, le deuxième tour de l'élection présidentielle au Mali opposera, dimanche 12 août, Ibrahim Boubacar Keïta à Soumaïla Cissé. Mais contrairement au précédent scrutin, l’un des deux candidats est un président sortant. Après cinq années passées à la tête du pays, Ibrahim Boubacar Keïta, dit "IBK", entend prolonger, à 73 ans, son bail au palais de Koulouba.
Officiellement crédité de 41,70 % des voix par la Cour constitutionnelle, l’actuel chef de l’État semble avoir les chances d’y parvenir. Avec 17,78 % des suffrages récoltés au premier tour le 29 juillet, Soumaïla Cissé, son adversaire de cinq ans son cadet, devra, lui, compter sur un conséquent report de voix s’il veut sortir victorieux dimanche. Problème : Aliou Diallo, qui est arrivé en troisième position en remportant 8 % des voix, et Cheik Modibo Diarra, quatrième avec 7 %, ont fait savoir qu'ils ne soutiendront pas sa candidature.
"Consolider, amplifier, corriger"
Incapable de fédérer l’opposition autour de son nom, le candidat de l’Union pour la république et la démocratie (URD) espère convaincre les déçus d’IBK de voter pour lui. De son côté, le président sortant estime que c’est son bilan, justement, qui fera la différence. Pour son dernier meeting, ce vendredi 10 août, à Bamako, Ibrahim Boubacar Keïta s’est choisi comme mantra un triple objectif : "Consolider les acquis, amplifier les réussites et corriger les manques". Sur le plan économique, IBK peut en effet se targuer d’avoir enregistré quelques réussites : depuis plusieurs années, le Mali connaît un taux de croissance supérieur à 5 %, et est redevenu, en 2017 et 2018, le premier producteur de coton africain. Reste que pour nombre d’observateurs, le pays s’est appauvri. Selon la Banque mondiale, le revenu par habitant a reculé depuis 2014, et 47 % des 18 millions de Maliens vivent sous le seuil de pauvreté.
Sur le plan sécuritaire ensuite, le bilan est tout aussi mitigé. Cinq ans après l’intervention française visant à reprendre aux jihadistes le contrôle du nord du Mali, la communauté internationale s’impatiente de voir la mise en application effective de l'accord de paix conclu en 2015 par le gouvernement et les groupes rebelles. Car, depuis la signature du texte, les violences islamistes, jusqu’alors circonscrites au nord, se sont propagées dans le pays, jusqu’aux frontières du Burkina Faso et du Niger. Le 29 juin dernier, c’est dans le centre du pays, à Sévaré, que le quartier général de la force conjointe du G5 Sahel a été la cible d’un attentat meurtrier revendiqué par un groupe islamiste lié à al-Qaïda. Et c’est aussi dans le centre que, ces deux dernières années, des conflits ethniques sans précédents ont éclaté, notamment entre Peuls et Dogons..
"Mais depuis qu’il a nommé Soumeylou Boubeye Maïga comme Premier ministre en janvier dernier, IBK a marqué des points, observe Christophe Boisbouvier, journaliste du bureau Afrique de RFI. Pour la première fois en quatre ans, c’était en mars dernier, un Premier ministre a pu se rendre à Kidal, à l’extrême-nord. Dans des localités du centre, comme à Mopti, l’État a pu se réinstaller avec ses représentants, préfets et sous-préfets."
Autre volet sur lequel l’opposition n’a cessé de se positionner : la corruption du pouvoir. Dès le début de son mandat, le président sortant a en effet dû faire face à une retentissante affaire de surfacturation de matériel militaire qui lui a coûté le soutien de quelques figures influentes, notamment religieuses, de la sphère politique malienne.
"Il faut identifier la maladie pour pouvoir la soigner"
Lutte contre l’insécurité, mise en œuvre de l’accord de paix, fin de la corruption… Soulaïma Cissé n’a pas hésité à surfer sur les manquements du premier mandat d’IBK pour élaborer les principaux axes de son programme. Avec comme mot d’ordre : le dialogue. "Il faut parler aux Maliens, il faut que les gens se parlent. Comme l’on dit chez nous, il faut identifier la maladie pour pouvoir la soigner. Il faut que les solutions soient des solutions inclusives, que l’on trouve par nous-mêmes", affirmait-il à France 24 avant le premier tour de la présidentielle.
Soumaïla Cissé dialogue mais peine à convaincre. Alors qu'il avait réussi à rassembler la plupart des opposants pour dénoncer le "hold-up électoral" du premier tour, le candidat de l’Union pour la république et la démocratie (UDR) n’est pas parvenu à transformer ce "front démocratique" en soutien à sa candidature. Parviendra-t-il à dépasser les logiques d’appareils en incitant les électeurs insatisfaits d’IBK à voter pour lui ?
L’enjeu est de taille au regard de l’importante réserve de voix dont bénéficie le président sortant. "L’un des atouts d’IBK, c’est sa forte implantation électorale dans les zones les plus peuplées du pays. Au Sud, notamment, dans ses fiefs de Sikasso, de Koutiala, de Koulikoro, là où il avait fait le plein des voix en 2013, détaille Christophe Boisbouvier. Cissé n’est pas du Sud comme IBK, il est du Centre-Nord, de Niafunké, une région qui est moins peuplée mais il rassemble toutefois beaucoup de monde à Bamako. Il est soutenu par deux personnalités influentes, le très ‘réseauté’ Tiébilé Dramé du Paréna et l’ex-animateur radio Ras Bath, très populaire à Bamako."
Deux soutiens dont le poids ne devrait toutefois pas suffire à faire pencher la balance. Ancien ministre des Finances puis de l’Équipement, ancien président de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), Cissé, qui se présente pour la troisième fois à la magistrature suprême, "a du mal à incarner aujourd’hui un renouveau politique au Mali, rapporte Christelle Pire, correspondante de France 24 à Bamako. Comme IBK, il est issu du parti historique de l’Adéma (au pouvoir de 1992 à 2002), il a lui aussi été ministre lors de la présidence d’Alpha Oumar Konaré, ils ont même participé, côte à côte, au même gouvernement, ils sont tous deux issus de la même génération d’hommes politiques."
Or, au Mali, l’expérience profite toujours à celui qui détient déjà les rênes du pouvoir : jamais, dans l’histoire du pays, un président sortant n’a perdu une élection au profit d’un autre candidat.